15 décembre 2016. Triple H annonce en grande pompe lors d’une conférence de presse donnée à Londres, que la WWE va lancer un tournoi qui couronnera le premier champion du Royaume-Uni. Sont alors présentés les 16 catcheurs participants, pour la plupart inconnus du grand public, mais tous bien connus de la scène indépendante britannique. 

Cette scène, elle vit à cet instant un boom phénoménal. Les promotions sont plus nombreuses que jamais, le public plus demandeur qu’il ne l’a jamais été et la qualité pratiquement toujours au rendez-vous. Partout la surenchère est de mise. Les confrontations de rêve se multiplient, les salles sont de plus en plus grandes et les fans se déplacent en masse. En quelques années, c’est un nouveau marché qui s’est créé.

Un marché que la WWE a vite compris qu’elle devait infiltrer. Porté par un Triple H au sommet de la hype avec son travail à NXT – c’est un public qui lui a tourné le dos que le mastodonte américain tente alors de reconquérir. A l’époque, l’enthousiasme est de mise, à raison. Mais presque trois ans plus tard, l’effet papillon se fait ressentir et l’âge d’or moderne du catch européen semble s’être ouvert à un nouveau chapitre.

Tout était trop beau ?

“Il n’y aura aucune restrictions. Nous ne sommes par le grand méchant loup qui vient essayer de tout prendre, à tout le monde. Il s’agit de donner à ses gars, que nous pensons être les meilleurs, un peu d’argent.” C’est ce que déclara William Regal après l’annonce du tournoi, en décembre 2016. Et à l’époque, tout le monde à envie d’y croire. Ce souhait il ne quittera pas immédiatement les esprits, puisque le tournoi, donné sur deux nuits en janvier 2017 sera une franche réussite. Quel plaisir de voir briller sur un réseau mainstream des talents comme Tyler Bate, Mark Andrews ou Pete Dunne, que le public britannique a appris à côtoyer et voir grandir loin d’une telle exposition mondiale. 

Pendant pratiquement un an, la WWE se fera discrète sur le territoire. Mais les participants au tournoi bénéficieront tous d’une notoriété qu’il n’auraient jamais pu avoir sans ces deux nuits d’action. Avoir un gars estampillé “WWE UK” sur son show, c’était gage d’un événement à ne pas rater. Et il est vrai qu’à part quelques exceptions, tous étaient encore libres d’aller catcher où ils le voulaient, et que beaucoup de structures ont su en profiter. 

A ce moment-là, n’oublions pas que la NJPW est elle aussi dans les parages. Chaque show faisait réellement sensation, avec des programmations toutes plus folles et libres les unes que les autres. Mais petit à petit, certains choses commencèrent à se faire sentir.

British Strong Style vs. The Elite (Fight Club: Pro – 14/04/2017)

L’honnête appât du gain

Pour bien comprendre ce qu’il s’est passé, rien de mieux qu’un exemple concret. Et le plus concret que l’on puisse donner est celui de la PROGRESS Wrestling. Lancée en 2012, la promotion londonienne est la représentation physique parfaite du catch britannique et européen des dix dernières années.

Rapidement devenue extrêmement populaire auprès des fans adultes en manque d’un produit innovant et réellement interactif, elle a vu grandir en son sein certains des noms les plus populaires du catch mondial d’aujourd’hui, comme Will Ospreay, Pete Dunne, Tyler Bate ou encore Jimmy Havoc. D’abord devant 300 personnes, puis 800, pour ensuite aller remplir la Brixton Academy, l’Alexandra Palace, et la Wembley Arena. L’ascension fût fulgurante, et avec elle, l’exportation. Des dates au Canada, en Allemagne ou aux Etats-Unis. En 2016, elle est approchée par la WWE (comme d’autres structures) pour présenter un match de qualification au tournoi Cruiserweight Classic. Ce sera le premier contact avec le géant du divertissement. Le combat entre Pete Dunne et Jack Gallagher est présenté à juste titre comme un événement et l’excitation est unanimement partagée.

WALTER – actuel champion PROGRESS et britannique de la WWE

La PROGRESS verra ensuite plusieurs de ses catcheurs vedettes participer au tournoi britannique et les deux premiers champions du Royaume-Uni, Pete Dunne et Tyler Bate, porteront fièrement la ceinture griffée WWE pendant de nombreux shows de la promotion. Les contacts entre les deux structures seront de plus en plus réguliers et le partenariat qui les lie prend une nouvelle direction lors du lancement de NXT UK, en juin 2018.

Outre le fait que les trois promoteurs de la PROGRESS soient devenus producteurs pour la marque NXT UK, la structure apparaît depuis, de part son contenu, comme la petite sœur du show jaune à l’image de l’EVOLVE outre-Atlantique. Coïncidence ou non, la qualité de son produit commence à baisser, certains catcheurs emblématiques sont priés de faire leurs adieux pour diverses raisons et les fans les plus fidèles commencent à reprocher à la promotion qu’ils ont vu et aidé à faire grandir de s’être “vendue”.

Objectivement, s’installe une sorte schizophrénie. D’un côté, grâce à NXT, la joie de voir des talents enfin reconnus, bénéficier d’une exposition incroyable et jouir de contrats qu’ils auraient sans doute jamais imaginés signer. De l’autre, la tristesse de voir une scène indépendante se dépeupler, et régie indirectement par quelque chose qui nous dépasse.

Choisir son camp

L’impact de NXT UK et de ses contrats est ici pris comme exemple, car il est le plus flagrant, mais il en va de même pour la NJPW, la AEW ou d’autre promotions souhaitant préserver leurs intérêts. Ce qui nous offre depuis quelques mois des situations pour le moins ubuesques, avec des affrontements qu’aucun catcheur participant ne puisse perdre.

Pour son retour sur le sol britannique, le alors champion Open The Dream Gate PAC, a battu Zack Sabre Jr. et WALTER, mais par disqualification, et est allé au bout de la limite de temps contre Will Ospreay. Des affiches de rêves, ternies pour des raisons extra-sportives compréhensives, mais terriblement frustrantes.

PAC vs. Will Ospreay (Revolution Pro Wrestling – 15/02/2019)

Et la tendance n’est pas prête de s’inverser. Les rumeurs vont bon train, et vu la direction que prennent les choses depuis plusieurs mois, il paraît évident que les restrictions se feront de plus en plus présentes dans les prochains mois.

Les plus grosses structures d’Europe tenteront de se reposer sur la semi-liberté que leur offre la maison mère qu’ils ont choisi. PROGRESS, ICW (Ecosse) et wXw (Allemagne) pour la WWE. OTT (Irlande), RevPro (Angleterre) pour la NJPW. Les autres devront se contenter des miettes, et compter sur l’émergence des catcheurs indépendantistes. Quelques écrans de fumée sont dispersés (la victoire de l’indépendant David Starr lors du tournoi Super Strong Style 16 de la PROGRESS, par exemple), mais le catch européen doit s’apprêter à subir une transformation radicale d’ici à l’année à prochaine.

Qu’on se le dise, il n’y a pas de responsable majeur à trouver à cette situation. Il s’agit probablement de l’évolution naturelle des choses. Nous pouvons regarder avec nostalgie la période 2015-2018, l’une des plus excitantes qu’il ait été donnée à bon nombre de fans européens de suivre. Si certaines situations resteront à jamais regrettables, il ne nous faudra pas être fatalistes. Des promotions locales auront toujours le mérite d’être visitées, et les autres plus importantes – malgré les contraintes – tenteront toujours de satisfaire une audience davantage exigeante. Pendant ce temps-là, il faudra compter sur NXT et ses différentes branches pour faire le boulot et être à la hauteur de la demande.