Qu’il soit physique ou scénaristique, “il n’y a plus de réalisme à la WWE, aujourd’hui” regrettait récemment l’iconique ‘Stone Cold’ Steve Austin, comme il l’a déclaré au cours de l’un de ses podcasts. Il y a à peine quelques jours, l’Ultimate Fighting Championship présentait un nouveau show record, UFC 200, avec à l’affiche un poids-lourd très doué de ses poings semble-t-il, Mark Hunt, face au “part-timer” le plus prisé, crédible et légitime de la WWE, Brock Lesnar. Alors revenant d’un soir, ce dernier en était sorti (fort heureusement) victorieux, octroyant ainsi un bon retour sur investissement pour Vince McMahon qui espérait, avec cela, promouvoir au mieux le prochain match de ‘The Beast Incarnate’, contre le rétabli Randy Orton à SummerSlam 2016. Avec une telle “hype” derrière Lesnar, beaucoup se demande si il ne serait pas temps finalement de capitaliser sur ce nouvel attrait sportif, plus “réaliste”, de façon plus globale pour la WWE. Au lieu d’en profiter sporadiquement via les matches de Lesnar ou de s’en inspirer sporadiquement comme avec le Cruiserweight Classic Tournament, pourquoi ne pas s’en rapprocher vraiment de ce MMA toujours et encore florissant ?

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Comme l’a remarqué ce “geek du catch” Daniel Bryan concernant le CWC : “un tel tournoi, aux allures de ce que peut faire l’UFC, est idéal pour créer des stars“. Preuve en est que si l’UFC a su garder une forte “fanbase” grâce au côté spectaculaire mais réel et compétitif de son produit télévisuel sportif, il a réussi surtout à continuer de grandir parce qu’il a su créer de véritables stars mainstream – à l’instar de Brock Lesnar, Ronda Rousey ou Conor McGregor – et ce, malgré la niche dans laquelle il est, peut-être plus petite que celle, plus vieille et traditionnelle, du catch. Un débat en profondeur, donc de plus en plus animé, et qui alimente ce paradoxe de l’œuf ou la poule qu’est l’histoire commune du catch et du MMA. Rétrospective !

pancrase 1993

Le catch, père du MMA, ou le tumulte primordial

Outre les origines antiques (gréco-romaines et indiennes notamment), le catch ou “professional wrestling” dans sa forme moderne provient de plusieurs aspects des anciens réseaux de combats illégaux à paris de Grande-Bretagne. Du classique “collar-and-elbow style” (reconnaissable par l’étreinte caractéristique de chaque début de combat, encore aujourd’hui, et directement issu de la lutte gréco-romaine olympique) au moins stricte “irish whip wrestling” (qui a donné le nom anglais d’une projection dans les cordes), en passant par le plus sérieux et technique “catch-as-catch-can” ou “catch wrestling” – tous ont permis, au travers des différentes vagues d’immigration britannique, de modeler la pratique du “pro-wrestling” dès son établissement officiel au début du 20ème siècle en Amérique du Nord. Deux variantes du “catch-as-catch-can” (style le plus largement usité) se démarquent alors : le “chain wrestling” traditionnel du catch britannique et le plus violent et brutal “Lancashire wrestling”, plus tard nommé “shoot wrestling”. C’est à ce style que se forment les catcheurs dits “hookers” et “shooters”, tel Lou Thesz, Verne Gagne ou Stu Hart, durs sur l’homme et capables de surpasser n’importe quel adversaire – qu’il soit un homme fort du public, désireux de décrédibiliser des professionnels, à l’époque des festivals itinérants pré-1900s, ou un autre catcheur voulant sortir du “work” ou script du match. De plus, c’est de ce style que se réclame le fameux “strong-style” de la New-Japan Pro-Wrestling et de son fondateur Antonio Inoki, la forme la plus réputée de catch japonais. Entraîné par les derniers vrais apprentis du genre, l’anglais Billy Robinson et le belge Karl Gotch, Inoki change effectivement la perception du Puroresu (“pro-wrestling” en japonais) avec son “strong-style” intense et exalté, dès son installation avec le premier (mais mal orchestré) match catch vs. boxe, l’opposant au légendaire Muhammed Ali en 1976.

Yuki Ishikawa

Promotion séparatiste formée dans les années 1980s, l’Universal Wrestling Federation (UWF (Japan) puis Newborn UWF et enfin UWFi, jusqu’à sa fermeture définitive en 1996) en reprend les bases à son tour, et les amplifiant pour instiguer le “shoot-style”, une pratique du catch mélangeant différents réels sports de combat en un tout ultra-réaliste. Quoique aux décisions toujours pré-établies, le contenu in-ring n’a rien de “fake” : les coups sont “stiffs”, voire réellement portés, les prises le sont souvent sans assistance de l’adversaire et le “no selling” y est régulier. Très physique, le “shoot-style” est aussi psychologique : “Nous ne nous frappons pas entre nous, nous frappons les idiots qui pensent que le catch est truqué, comme un spectacle de singes dressés. Une fois qu’ils ont vu notre combat, ils n’avaient plus rien à dire. Ils l’ont regardé comme des imbéciles, surpris, avec la bouche grande ouverte. […] Par nos combats, nous dirigeons ainsi notre colère contre ceux qui se moquent de nous” soutient férocement Yuki Ishikawa (ci-contre), fondateur de la promotion de “shoot-style” BattlArts et actuel entraîneur principal (dont se réclame un certain Timothy Thatcher) de l’école canadienne de combat du même nom, dirigée par l’ex-Santino Marella.

Au milieu des années 1990s, le “shoot-style” gagne en attention et en popularité jusqu’à ne plus devenir un “work”/”fake”. C’est à ce moment que l’histoire du catch et du MMA s’intrique enfin officiellement pour la première fois : Minoru Suzuki et Masakatsu Funaki, tous deux disciples de l’UWFi et de Yoshiaki Fujiwara (inventeur du Fujiwara Armbar, et ancien promoteur de la brève Pro-Wrestling Fujiwara Gumi, centrée sur le “shoot-style” elle aussi), fonde la Pancrase Wrestling (du nom de l’antique lutte libre olympique), première promotion de “hybrid wrestling”, aujourd’hui communément appelé “arts martiaux mixtes” ou MMA. Totalement inspiré par une telle nouveauté, l’Ultimate Fighting Championship en devient en 1993 son pendant américain. L’histoire commune entre catch et MMA est alors sur le point de prendre un nouveau chemin …

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L’intrication actuelle : MMA, la grande influence sur le catch

Intrication (n, f) : état physique de deux particules, inséparables sur le plan quantique mais qui peuvent être spatialement séparées. Voici exactement comment sont ainsi identifiés le catch et le MMA, non sur le plan quantique, mais sur le plan historique. Même une fois lancé sur les bons rails japonais de la Pancrase et de la Pride Fighting Championship à la fin des années 1990s, le MMA continue de se nourrir du catch – aussi bien de ses talents (tels Dan ‘The Beast’ Severn ou Ken Shamrock, jonglant entre catch et MMA) que de sa présentation (belles lumières, rivalités exposées entre compétiteurs, etc). Arrive même un point où, une fois les “booms” rencontrés respectivement à cette période par le catch américain et le catch japonais, il semble prendre complètement la relève : l’organisation de Dana White prend le contrôle de l’UFC en 2001 et en fait une machine de guerre, conquérant le monde des Pay-Per-Views événementiels et rachetant à tour de bras ses concurrents (à l’instar de ce cher Vince McMahon deux décennies auparavant, comme le pointera lui-même Dana White) ; tandis qu’au Japon, autant la NJPW que l’AJPW paraissent dépassées et désorientés par une telle demande pour le MMA. Face à tout se remue-ménage en sa défaveur, le catch a du mal à répliquer adéquatement – la WWE restant fidèle à elle-même, comme si de rien n’était, et la New-Japan, au contraire, ratant maladroitement (et paradoxalement) essais sur essais d’incorporation de plus de MMA dans ses shows (jusqu’à dire “au revoir” à Antonio Inoki lui-même, fondant sa propre promotion hybride, Inoki Genome Federation). Néanmoins, une vraie adaptation dans cette nouvelle course à l’armement évolutive se fait belle et bien, en profondeur.

shinsuke nakamura

En 2002, à peine quelques mois suivant son ouverture, la Ring of Honor et son “pure wrestling” revendiquée en propose une première illustration. Comme l’aurait voulu (paraît-il) Paul Heyman si son ECW avait survécu la banqueroute, son élève Gabe Sapolsky y organise le tout premier Fight Without Honor Match, affrontement aux règles limités entre les jeunes mais non moins prometteurs, Low-Ki et Samoa Joe. Fiers de leurs premières expériences nippones à la Pro-Wrestling Zero-1, ces deux catcheurs n’hésitent pas à tout donner pour offrir l’un des combats les plus physiques et rudes jamais vus. Sans tomber dans la facilité du “hardcore” et des “bladejobs” à outrance, la force et la sincérité des coups donnés sont d’une rareté impressionnante. Rien à voir avec les quelques Lion’s Den Match et le foireux Brawl For All Tournament cher à Vince Russo de la WWF/E quelques années auparavant … Aussi exceptionnel que ce premier essai concluant de la ROH, se suivent notamment sur le sol américain Kenta Kobashi vs. Samoa Joe au show éponyme en 2006, Samoa Joe vs. Kurt Angle à TNA Lockdown 2008 (voyant ce dernier, arborer une attitude et un accoutrement de vrai combattant MMA), Brock Lesnar vs. John Cena de WWE Extreme Rules 2012 ou encore le sanglant Hybrid Fighting Rules Match, Adam Cole vs. Kyle O’Reilly, de ROH Best In The World 2012. Et bien plus encore au Japon, dont Shinsuke Nakamura, Katsuyori Shibata et Yuji Nagata en sont sans doute les noms les plus récurrents.

Aujourd’hui, même si le “catch MMA-isé” semble intéresser de plus en plus – notamment par le biais d’une compagnie comme l’EVOLVE – peut-être que le “sports-entertainment” s’inspire parfois plus du MMA qu’elle ne le devrait, selon certains. A l’évidence, logiquement et suivant cette dénomination popularisée par la WWE, des grands succès TV comme Game of Thrones ou Big Bang Theory devraient mieux influencés l’évolution d’un “rope-opera” comme celui de la WWE qu’autre chose. En tant que produit TV scénarisé à caractère sportif, et non seulement un sport télévisé, Monday Night RAW est bien plus comparable et, d’une certaine manière, concurrencer par de tels programmes que d’autres. Pourtant, la compétition avec l’UFC, ou de façon plus directe la très sportive NJPW, demeure omniprésente. En conclusion, serait-il temps pour la compagnie de Vince McMahon d’enfin concilier les deux côtés et ainsi, si l’on peut dire, d’aiguiser les deux tranchants d’une même épée : proposer des matches très réalistes et compétitifs, au sein d’une structure fictive très sportive et autour d’une narration forte, faite de “storylines” complexes, ramifiées et profondes ? Autrement dit, à quand Samoa Joe vs. Brock Lesnar dans “The Final Evolution Match” ?