“Cette lamentable attitude de patriotisme, quelle haine j’ai pour tout cela” avait dit le grand penseur et scientifique du siècle dernier, Albert Einstein en pleine opposition entre États-Unis et Japon et juste avant que deux bombes atomiques y soient lâchées. Cet “amour de la patrie” toujours à double-tranchant : il peut être unifiant et enthousiasmant, tout comme il peut être divisant et belliqueux. Plus qu’une vraie passion de son pays, inoffensive pour ceux qui ne s’y sentent pas identifiés, il est parfois le flambeau duquel sont allumés les pires conflits, l’objet de croyances irraisonnées animant un conservatisme rigide et fermé. Voilà ce qu’est le patriotisme, et pourquoi une compagnie à la portée, audience et clientèle internationale ne devrait pas en abuser : que ce soit dans l’écriture de ses scénarios, de ses personnages et surtout de shows entiers même comme celui du 4 juillet, fête nationale américaine comme lundi soir dernier.
Pourtant, aussi bien il y a 50 ans qu’actuellement, la WWE – malgré les abandons multiples de cette philosophie créative et économique par pratiquement toutes les autres organisations de catch à travers le monde, grandes et petites – continue de surfer sur la vieille vague facile et traditionnelle du patriotisme. De la programmation de ses tournées aux bookings de ses talents, la compagnie mondiale #1 ne cesse parfois d’agir comme s’il ne s’adressait qu’à un public national, américain et profondément patriote (comme semble être toujours la norme au pays de l’Oncle Sam …). Rétrospective d’une philosophie aussi documentée que néfaste.
“Stars & Stripes” : Seul un vrai américain peut se battre pour ce qui est juste
L’attrait, l’efficacité et l’exploitation du patriotisme des fans de catch a tout de suite été un pilier de la tendance “kayfabe” générale, dès la belle époque de l’émergence de la télévision. Dans les années 1940s-1950s, nombreux sont les lutteurs “babyfaces” à soutenir et valoriser les couleurs américaines et à faire barrage aux entités étrangères “heels”, le plus souvent agressives, arrogantes ou manipulatrices. Qu’ils soient dits de nationalité allemande revendiquée puis russe ou du Moyen-Orient selon les conflits politiques réels entre les États-Unis et le reste du monde, des catcheurs canadiens, polonais, irlandais ou italiens servent tous d’exutoires cathartiques au public payant, s’identifiant facilement et immédiatement aux différents héros américains leur faisant face. Ainsi, dans cette planète catch encore très segmentée, à la fois entre quatre pôles (l’Amérique du Nord, le Mexique, le Japon et l’Europe occidentale) très peu communicants et des territoires à internes pour certains, des catcheurs – qui auraient servi jusque là de héros de second de zone même à l’époque des carnavals et fêtes foraines du 19ème siècle – deviennent instantanément des top-stars.
Aussi bien aux “States” qu’au Japon par exemple, où Rikidozan (coréen de nationalité pourtant), le proclamé “père du catch japonais”, s’est bâti une réputation de pourfendeur de l’envahisseur américain (celui-là même qui a transmis sa passion pour le catch aux nippons) pour devenir une star nationale. L’argument patriotique semble marcher à tous les coups. Outre les stars locales ou ethniques comme l’homme-fort italien Bruno Sammartino, on compte progressivement ‘Hacksaw’ Jim Duggan, Sgt. Slaughter et l’invincible “role-model” Hulk Hogan. Et c’est, une fois à la WWF/E grandissante du jeune Vince McMahon, que ces trois noms atteindront le paroxysme de leurs carrières respectives. Un vrai paradoxe pour une entreprise qui se veut globale aujourd’hui, mais totalement compréhensible durant les années 1980s où le but n’est encore qu’une complète domination nationale. Là, l’attrait d’une icône nationale est justifié, mais les réussites de cette méthode seront la source de nombreux dommages collatéraux.
En 1991, pour embrayer sur le succès de WrestleMania VI et maintenir le cap d’une lignée grandiose de tels événements, Vince McMahon décide d’investir l’immense Los Angeles Memorial Coliseum pour une grande revanche entre l’Ultimate Warrior et le ‘Hulkster’. Face aux faibles attractions provoqués par un Warrior Main-Eventer en “house shows”, le grand manitou change ses plans et s’arrange pour s’inspirer de l’attention médiatique massive portée sur la Guerre du Golfe. L’héro patriotique Sgt. Slaughter trahit sa morale et ses valeurs, se range du côté d’Iron Sheik et d’autres en signe de soutien à l’adversaire, flou sur les écrans de la WWF/E, des États-Unis dans cette guerre. Le tout pour renforcer le propre patriotisme américain du revenant sur le devant de la scène, Hogan. Contre toute attente de la part de la direction, cette “storyline” majeure en séduit peu et se trouve plus que controversée : en conséquence, les ventes préliminaires de billets pour WrestleMania VII n’augurent rien de bon et l’événement est re-localisé à la plus petite Los Angeles Sports Arena. Publiquement, la compagnie annonce des menaces d’attentats à la bombe comme sources de ce déménagement. Même dans la panade, elle continue d’exploiter un sujet de politique hautement sérieux, au nom d’un patriotisme qui a “toujours fait ses fruits” dans le monde du catch. Cependant, comme le montre le “push” ignoré et raté d’un Lex Luger, héro américain conducteur du Lex Express, 3 ans plus tard, la recette miracle n’a plus lieu d’être dans un monde changeant et pour une compagnie s’étendant sur d’autres pays que les tout-puissants États-Unis …
Les stéréotypes, garantie d’une narration facile … mais clivante
Le bulgare aux services de la Russie Rusev, le sauvage samoan Umaga, le pseudo-sumo japonais Yokozuna, le soit disant français de sang noble Hunter Hearst-Helmsley (ie. Triple H avant l’époque D-Generation X), le menaçant monstre du pays du soleil levant Tensaï, le britannique sobre et stricte William Regal, l’irlandais agressif et bourru Finlay, l’arabe anti-USA Muhammed Hassan, le canadien hautain Lance Storm, et la liste pourrait s’étendre encore sur des pages et des pages de catcheurs dans l’histoire de la WWE qui n’ont été défini que par leur affinité clichée avec un certain patriotisme étranger et opposé au patriotisme américain, et moins souvent inversement. Pas très valorisant dans le cadre d’un produit de “divertissement sportif” qui se veut à la résonance internationale, et tente chaque année d’exploiter de nouveaux marchés – comme la Chine, particulièrement cette année -, de surcroît avec le WWE Network désormais en route.
Malgré tout, certains noms aux gimmicks et personnages animés d’un tel “amour de sa patrie” n’ont pas été de si péjoratifs et dégradants exemples, d’un point de vue créatif. Kurt Angle, le double médaillé d’or olympique, a toujours arboré des couleurs très patriotiques sans pour autant y focaliser ses propos et ses actions : en “heel”, il semblait être simplement un prétentieux, rabâchant ses accomplissements à tort et à travers ; et en “face” ne manifestait qu’un soutien sporadique et mesuré à l’armée américaine par exemple, préférant autrement se consacrer à une compétition sportive la plus juste possible. Bret ‘The Hitman’ Hart était un fier canadien, partageant le même genre de valeurs, avant son rejet “kayfabe” de la direction du produit de la WWF/E avec des D-X, Steve Austin et Nation of Domination au volant, le menant à accentuer son propre patriotisme envers les canadiens “seuls” fans continuant de le soutenir, lui et ses valeurs morales conservatrices et politiquement correctes. Enfin, ‘The American Dream’ Dusty Rhodes, bien qu’au surnom fortement connoté, n’est jamais apparu comme le dernier rempart face aux “menaces lointaines” et a même lutté plusieurs fois aux côtés des Koloffs, hommes forts soit disant russes. Et en tant que “booker”, il a profité de son public national pour se servir de l’attrait patriotique, seulement au second-plan, avec les tournées puis Pay-Per-Views Great American Bash.
Cette mesure, cette justesse dans la balance des valeurs d’un personnage et de la programmation du “booking”, la WWE ne semble toujours pas l’avoir acquise. Qu’il s’agisse du championnat des États-Unis encore et toujours existant, au détriment d’un titre de champion à la dénomination moins ciblée pour le non-initié téléspectateur, de certaines gimmicks actuelles ou de l’excès de “house shows” (en plus des enregistrements TV différents !) sur le sol américain, la WWE continue d’agir comme dans les années 1980s, quand elle n’était encore qu’une compagnie au champ d’action nationale. Aujourd’hui, elle est une compagnie mondiale, au roster de talents aux multiples nationalités distinctes, qui ne peut se permettre de telles complaisance et facilités d’organisation et de création. Il est temps pour elle de dire “adieu” au conservatisme, aux traditions patriotiques archaïques qui ne peuvent que décrédibiliser son statut et sa résonance internationale. Sinon, elle ne vaudra jamais mieux qu’un fasciste protectionniste et sur-patriotique Donald Trump …