Jim Ross, réputé pour être l’un des plus grands commentateurs de catch de tous les temps, est auteur du dicton suivant : “Sur le ring, les catcheurs font la musique, et les commentateurs, les paroles“. Voilà à quel point un solo, un duo ou un trio de commentateurs est essentiel au produit présenté par n’importe quelle compagnie de catch télévisée – qu’elle soit américaine, européenne, japonaise ou mexicaine. Une importance si sous-estimée par les téléspectateurs réguliers et habituels, ces “die hards” qui ne louperaient pour rien au monde un épisode de WWE Monday Night RAW, qui ne comprennent parfois pas la valeur de ces petites voix qui réagissent, commentent, critiquent ou s’esclaffent de l’action et des histoires présentés à l’écran chaque semaine. Tant et si bien que les performances et l’efficacité d’un ou plusieurs commentateurs sont toutes aussi capitales que le reste du produit – les talents sur le ring, l’arbitrage, la production, la narration, etc – et peuvent, ipso facto, soit le magnifier, soit le desservir totalement. Aujourd’hui, pour chaque RAW, c’est plutôt le deuxième versant qui se dégage des fonctions réalisées par le trio JBL, Michael Cole et Byron Saxton.
Un gros problème parmi tant d’autres pour RAW …
Dernier exemple en date : ce petit lapsus de Cole sur le nom de la prise de finition exécutée par Dean Ambrose, l’appelant “Pedigree” (qui désigne le finisher de Triple H et Seth Rollins) et non “Dirty Deeds” – oserons-nous dire, voici du “vintage Michael Cole !“. Car en effet, ce n’est pas la première fois que ce cher ‘Maggle’ se loupe ou s’égare dans ses commentateurs, lui qui – en tant que commentateur dit “play-by-play” de l’équipe – doit être le plus calé et le plus précis, surtout concernant l’arsenal du champion du monde poids-lourd, le catcheur le plus important du main-roster. Preuve, s’il en est, d’un manque total d’intérêt réel et personnel pour le produit présenté, et d’un excessif guidage (style bourrage de crâne à coups de mots interdits et de mots marketing obligatoires) par le tandem Vince McMahon et Kevin Dunn, le chef de la production – qui sont dans ses oreilles et ne lui laissent pas une seconde de liberté. Mais Michael Cole est loin d’être le seul à faire défaut aux commentaires. Le “heel color commentator” à ses côtés, JBL (avec qui ils partageaient la table des commentaires de Smackdown! de 2005 à 2008), est semble-t-il en pilote automatique quand il discute de choses et d’autres à l’antenne. Il veut trop s’amuser et blaguer, au lieu de polémiquer sur les manœuvres des « faces » et soutenir les actions des “heels” et relever leur intelligence si besoin – mettant ainsi en avant l’action sur le ring mais aussi le “storytelling” et le “in-ring psychology” pratiqué par les catcheurs, car tel est son savoir en sa position d’ancien catcheur. Quant au jeune Byron Saxton, le “face color commentator”, il n’ajoute malheureusement rien de mieux : fantomatique à l’écoute, il se fait rembarrer par JBL (jouant les brutes trop fortement, comme sortant de sa casquette fictive pour réveiller sa vraie personnalité) qui l’interrompt tout de suite odieusement. Pourtant, pas du tout exempt de charisme (à l’AccorHotels Arena de Paris Bercy, en avril dernier, où il servait d’animateur, il en était rempli et très à l’aise avec le public, même étranger), Byron ne fait à RAW que répéter les mêmes choses entre 10-15 minutes d’intervalle quand JBL le laisse parler.
En effet, voici à quoi ressemblent les trois voix qui résonnent dans la tête des téléspectateurs : celles qui, en principe, doivent les guider, les aider à intégrer à l’univers présenté et donc à suspendre volontairement leur incrédulité (croire, même conscient de son aspect fictif comme au théâtre ou au cinéma, au catch “kayfabe” établi). Mais comment pourraient-ils avec un tel trio ?! A la place, certains fans casuels passant sur l’USA Network, curieux de découvrir une nouvelle émission, doivent probablement être dégoûtés et dérangés par ce qu’ils entendent, en complète inadéquation avec le côté athlétique délivré par un roster très talentueux, et finalement zappent, un peu déçus. Mais alors, qu’est-ce qui fait un bon commentateur et une bonne équipe ? Si voilà des mauvais exemples, quels sont les bons ? Tant, mis à part sans doute, Corey Graves à NXT et Mauro Ranallo à SmackDown (qui devrait faire des merveilles en compagnie de Daniel Bryan, aux commentaires du WWE Cruiserweight Classic, sur le Network), ils sont rares aujourd’hui à assurer dans leur domaine, à la WWE. Rétrospective du rôle historique des commentaires et des grands noms qui en ont forgé l’importance.
Le “play-by-play” ou l’art du peaufinage
A l’origine, lors de l’élaboration du “pro-wrestling” en Amérique du Nord vers son intrication dans un contenu fictif, ce sacro-saint “kayfabe”, le catch n’était pas encore télévisé. Le rôle des commentateurs, pas toujours présents, en étaient réduits à commenter les plus grands matches pour l’audience sur place. Puis, dès les années 1950s lors du premier essor du catch à la télévision à l’ère des Gorgeous George et autres Lou Thesz, c’est développée la place du commentateur sportif classique, de plus en plus prépondérante, au même titre qu’au baseball, à la boxe ou au football américain. Le commentateur “play-by-play” – du fait qu’il soit celui toujours à l’antenne, d’émissions en émissions – était né. Grâce à son expertise, il apporte un réalisme, une crédibilité et une légitimité à l’action proposée et présentée. Aussi, éduque-t-il le téléspectateur intéressé de plus en plus, au fur et à mesure, en servant le produit par la même occasion, expliquant au mieux les différentes stipulations des matches organisés et déroulements des “storylines” parfois difficiles à suivre sur le papier. Impartial, le “play-by-play” ne fait qu’informer et commenter le déroulement d’un match et les événements entre – tel un bon présentateur TV ou radio. Il incarne cette référence auditive pour le téléspectateur, dont l’appréciation dépend souvent du bon fonctionnement de ses qualités chez un tel commentateur. S’il croit en ses paroles impartiales, d’expert journalistique, il est alors capable de croire à la narration, physique, émotionnelle et psychologique, incarnée par les catcheurs – objets et sujets du produit.
Selon les cultures, le commentateur “play-by-play” peut être plus ou moins neutre : au Mexique, certains prennent complètement partis pour les “tecnicos” (les “babyfaces”, les gentils) ; alors qu’au Japon, ils se cantonnent respectueusement au minimum demandé (à quelques exceptions près, tel ce commentateur fan #1 de Yuji Nagata à la NJPW, qui a pleuré lors de la défaite de ce dernier à DOMINION 6.19 ce week-end). Cependant, l’histoire du catch occidental (tant il est difficile pour moi de statuer sur les capacités des commentateurs mexicains et japonais, à travers les âges) a retenu une poignée de commentateurs “play-by-play” modèles. Tout d’abord, il y a Gordon Solie (ci-contre, avec Dusty Rhodes) – la référence exemplaire sur laquelle s’est appuyée Jim Ross lui-même, au fil de sa carrière. Souvent seul au micro, il est connu pour son érudition particulièrement impressionnante et son impartialité sans faille, presque “british”. Inventeur du terme “crimson mask” (ce masque de sang que semble arborer le visage d’un catcheur dégoulinant de sang après une coupure, volontaire ou non), il a réussi à éduquer toute une génération de fans de la NWA dans les années 1960s-70s notamment. De l’oubliée Championship Wrestling from Florida à l’ancêtre de la WCW, Georgia Championship Wrestling, sur le câble, il avait tout autant marqué de son empreinte (et de ses discrètes phrases fétiches comme ci-dessus, qui inspirera le “slobber knocker” de JR, le “cat fight !” de Joey Styles et même le “vintage !” de Michael Cole des décennies plus tard) sa génération que les paroles de Jim Ross dans les années 1990s-2000s. Ce ‘Good Ol’ JR’ qui – de l’UWF/Mid-South Wrestling de Bill Watts à la WWF/E, en passant par la WCW aux alentours du rachat des Jim Crockett Promotions, puis même brièvement la New-Japan-Pro-Wrestling il y a quelques années – savait rester impartial et expert de son savoir quand il fallait, ou interpréter assez le scénario pour intriguer le téléspectateur, ou encore se scandaliser totalement pour mettre en avant la vilenie d’un “heel” et exulter de joie à la victoire d’un “babyface” après moult épreuves.
En cela, le maître en la matière était sans aucun doute le méconnu Lance Russell de Memphis Wrestling, à l’apogée de la carrière de Jerry ‘The King’ Lawler à la fin des années 1970s jusqu’au début des années 1980s. Voix de la raison et vecteur de la morale (ou encore, le premier à commenter les “house shows”, non pas pour le public mais sur l’éventualité qu’un match y soit diffusé à la télévision), tout comme JR un peu plus tard, Russell était la main tendue au téléspectateur pour le faire entrer aisément dans l’univers un peu moins traditionnel de ce territoire sudiste, premier à avoir fait pénétrer le monde du divertissement main-stream (hollywoodien même, avec la “feud” Andy Kauffman vs. Jerry Lawler) dans celui du très conservateur “rasslin'”. Pas impassible pour autant, il n’hésitait pas à prendre parti pour les héros, appelant à l’aide pour eux et décriant les méfaits de leurs ennemis. Un manque sporadique d’impartialité certes, mais toujours mesuré et justifié. A l’instar du jeune expert en charge, lui aussi seul, des commentaires de l’ECW la décennie suivante, Joey Styles. Cité comme le “nouveau Gordon Solie” à l’époque, Joey était autant doté d’une précision sportive sans égale, crédibilisant un produit très peu traditionnel, que d’un don pour l’excitation magique, en accord avec la folie et la violence inédite de la promotion de Philadelphie. Si JR a su retranscrire parfaitement la chute vertigineuse de Mankind du haut de la cage au King of The Ring 1998, Styles n’a jamais failli à sa tâche en soulignant d’un silence, bouche-bée, puis d’un monumental “Oh My God !” chaque “high spots” à travers des tables enflammées ou des pils de punaises. Jamais un commentateur “play-by-play”, à l’exception peut-être de Jim Ross, aura été si efficace et juste dans sa polyvalence – maîtrisant aussi bien l’aspect robotique et journalistique que l’aspect humain et émotionnel des commentaires.
Néanmoins, dans ce style-là, on retrouve en outre d’une moindre mesure ‘The Professor’ Mike Tenay (spécialiste des Cruiserweights de la WCW, puis commentateur principal de la TNA dès le premier jour puis pendant plus de 10 ans) et même, aujourd’hui mieux avisé Matt Striker – chacun bien aidé par leur comparse “color commentator”, généralement “face” : respectivement l’excité et enthousiaste Don West, et le cool et généreux Vampiro, tous deux tout à fait en adéquation avec l’esthétique des produits présentés, aussi bien l’innovation spectaculaire de la X-Division à la TNA d’un côté que l’atmosphère latine et fantastique de Lucha Underground de l’autre. Car voici aussi une facette de la casquette des “color commentators”, un plus parfois nécessaire à la bonne qualité des commentaires effectués.
Renseigner, polémiquer, enthousiasmer : L’indispensable plus-value des “color commentators”
Si le commentateur “play-by-play” paraît indépendant au reste du show et de la promotion pour qui il pratique son métier, le “color commentator” en fait complètement partie, comme il appartient à un alignement “kayfabe”, “heel” ou “face”. Ainsi, il offre un jugement de valeurs et une partialité plus ou moins prenante. Il est la parole provocatrice, polémique et controversée qui amène à débats avec l’autre commentateur mais aussi avec les téléspectateurs. De cette façon, il accentue le trait des actions morales, bonnes ou mauvaises, des catcheurs et incite le public à s’y intéresser, à y prendre parti (avec lui ou contre lui) aussi et donc à s’investir émotionnellement à l’égard du produit présenté : le processus transformant un simple téléspectateur lambda en fan inconditionnel, achetant T-Shirts, billets et Pay-Per-Views, est ainsi grandement facilité. De plus, il est tout aussi expert que son partenaire “play-by-play”, quoi que soit son alignement, mais n’apporte néanmoins pas le même savoir : pendant que ce dernier nomme les prises effectuées et décrit les moments forts d’un match, le “color commentator” – le plus souvent en sa qualité d’ex-catcheur – tâche de mettre en avant la souffrance provoquée par telle chute ou l’intelligence de telle technique ou de telle tricherie.
Au sein de ce champ de compétences bien spécifiques, on retrouve des exemples particulièrement forts du côté “heel”. Dans la WWF/E en pleine expansion puis “boom” des années 1980s, âge d’or de cette discipline de “color commentator”, on retrouve surtout Jesse ‘The Body’ Ventura à la verve élaborée, hautaine et sans fioritures (laquelle aura été utilisée pour narrer le premier film produit par WWE Studios, The Mania of WrestleMania), cherchant toujours le conflit avec Gorilla Monsoon, le “play-by-play” sympathique et familial changeant souvent cette casquette pour celle de “face color commentator” dans ses altercations avec Ventura. Ce dernier si rebuté par Hulk Hogan (aussi bien dans le “kayfabe” qu’en réalité), qu’il en rendait ses opposants encore plus détestables, haineux et dangereux. En plus, fort de son expérience de catcheur charismatique, Jesse savait protéger son propre personnage de commentateur, en restant ferme sur ses convictions et soutenant bec et ongles ses favoris : en 1988-89, malgré son “face-turn” transitoire de plus d’un an, il avait continué de favoriser son chouchou “heel”, ‘Macho Man’ Randy Savage, dans ses propos. Autre exemple marquant, sa neutralité presque schizophrénique en amont du “Title for Title” Match de WrestleMania VI, mettant Hogan face à l’Ultimate Warrior, les deux top-“babyfaces” de la compagnie (une semaine arborant les couleurs du Warrior, et une autre celle d’Hogan, comme pour le qualifier de “moindre mal” pour rester dans le rejet du ‘Hulkster’). A la même époque, on retrouve aussi un peu plus tard le célèbre manager Bobby ‘The Brain’ Heenan. Malin et manipulateur avec ses talents à l’écran, il le restait tout autant à l’écoute des commentaires, indignant Gorilla Monsoon à chaque mot sortant de sa bouche. Plus extravagant et amusant à juste mesure, Heenan délivrait un certain entrain au programme qui a, par la suite, rendu son duo avec ce dernier indémodable.
Ensuite, dans les années 1990s-2000s, on peut tomber sur deux autres noms aussi talentueux dans la même veine, chacun partenaire de Jim Ross à leur tour : Paul Heyman, aux commentaires de la WCW lors de la domination de sa Dangerous Alliance, puis de la WWF/E après la banqueroute de l’ECW ; et Jerry Lawler, l’ex-star des années 1980s rendue complètement atypique par la folie de l’Attitude Era. Critique sans concession, toujours excité voire pervers, celui-ci collait parfaitement à l’ambiance violente, intense, sexy et trash de RAW Is War. Heyman, quant à lui, jouait l’insupportable “monsieur je-sais-tout”, excédant Jim Ross à longueur de temps, par des réflexions aussi politiquement incorrectes que légitimes en elles-même malgré tout. En outre, il tranchait parfaitement avec la mesure et la familiarité de JR : sa phrase magistrale concernant le Main-Event de WrestleMania X-Seven, opposant Steve Austin à The Rock – “C’est un match que chacun doit gagner, mais qu’aucun ne peut se permettre de perdre” – en est la preuve.
Chez les “faces”, on en rencontre cependant moins d’aussi efficaces et faits pour le rôle, tombant bien souvent dans l’indifférence ou l’inutilité au côté du “play-by-play” vecteur d’une morale similaire, quoique plus impartial. On peut néanmoins citer les noms de Gorilla Monsoon, Don West (par moment, comme lors du premier match de la X-Division) et Vampiro, encore une fois, ou encore Gabe Sapolsky (fondateur et ex-dirigeant de la Ring of Honor, aujourd’hui patron d’EVOLVE et WNNLive) sous les pseudonymes ‘Chris Lovey’ et ‘Jimmy Bower’ (avec son célèbre “Dangerous !”), et plus récemment Steve Corino (très bon en “heel color commentator” aussi, d’ailleurs) et Nigel McGuinness à la Ring of Honor. Ce dernier, incarnant en plus le “match maker” de l’émission, apporte énormément de précisions techniques et de références historiques à l’action de haut acabit de la ROH. Un œil avisé nécessaire et suffisant pour un produit qui se veut proposer le “meilleur catch de la planète”. Bientôt peut-être qu’une telle plus-value sera offerte par Daniel Bryan, en compagnie du très sportif “play-by-play” de SmackDown, espérons-le …