Le 27 mai dernier, dans le cadre du tournoi de poids-moyen organisé annuellement par la New-Japan Pro-Wrestling – le Best of Super Juniors Tournament XXIII – l’un des meilleurs catcheurs et de plus innovants voltigeurs actuels, Ricochet (aka Prince Puma dans Lucha Underground), a affronté le jeune britannique très talentueux, Will Ospreay, au sein du célèbre et réputé Korakuen Hall de Tokyo. Non seulement déterminant dans une telle compétition, ce match était surtout une manière d’opposer un fan et apprenti à son modèle et idole. Signé très récemment par la grande promotion nippone, Will Ospreay (qui a finalement remporté la compétition, sans doute grâce à ce match très discuté) s’est calé sur le style acrobatique et athlétique de Ricochet dès ses débuts, soucieux de devenir aussi doué que lui dans la matière – et même plus vite que lui d’ailleurs. Une promesse qu’il a su réaliser, qui lui a permis de conquérir le circuit britannique et aujourd’hui le sommet de la très réputée division Junior Heavyweight d’une des plus grandes compagnies de catch au monde.
Ainsi, durant ce dit match, les spectateurs et téléspectateurs (via le service de streaming officiel, New-Japan World) ont assisté à un combat d’artistes des airs, l’un voulant remettre un jeunot “sur-estimé” à sa place et l’autre déterminé à lui montrer qu’il était capable de faire aussi bien – voire mieux – que lui, ce qui paraissait être son exclusive spécialité. Un combat de “high-flying” majestueux qui a étonnement fait jaser bien du monde au sein de la communauté catch internationale. Éclipsant NXT TakeOver : The End ou WWE Money In The Bank 2016, le duel aérien a fait polémique parmi les critiques, comme les vétérans et même certains catcheurs en activité. Parmi les interrogations, sujets du débat : Est-ce une “bonne” façon de catcher ? Est-ce vraiment du catch ? Est-ce crédible (soulignant un aspect chorégraphié excessif et la soit-disant absence de réel “selling” durant l’exercice) ? Est-ce bon pour l’image du catch ? D’où, qu’est-ce qui lui donne une mauvaise image ? Des questions qui ont divisé d’un coup toute une communauté … alors qu’il n’y a pourtant, littéralement, rien d’extraordinaire dans ce qu’ont offert Ricochet et Will Ospreay. Rétrospective sur des décennies de révolutions “in-rings”, plus influentes et moins controversées que celle-ci.
Antonio Rocca, l’acrobate italien qui a réveillé le Madison Square Garden
Échappant de peu à la Seconde Guerre Mondiale, un jeune italien sportif et athlétique arrive en Argentine : Antonino Biasetton, bientôt connu sous le nom d’Antonio Rocca, débarque dans le monde du catch. Après un passage au Texas, le virevoltant ex-footballeur et rugbyman arrive aux alentours de New-York, territoire – l’un des plus florissants et influents de la toute-puissante National Wrestling Alliance – contrôlé par Toots Mondt (qui détiendra quelques années son contrat d’exclusivité) et Vince McMahon Sr. Pieds nus sur le ring, Rocca envoie des coups de pied sautés, fait une pirouette pour éviter les coups et n’hésite pas à encercler ses adversaires avec ses jambes pour les faire basculer au sol – les premiers huracanrrana/hurricanrana – … du jamais vu ! En effet inspiré par l’invention du luchador mexicain, Huracan Ramirez, Antonio Rocca amène pour la première fois de la voltige dans un match de catch américain.
Inventeur cependant du Torture Rack (nom d’origine : Argentine Backbreaker), quelques années plus tard popularisé par Lex Luger, il conserve certains traits des lutteurs de son époque, progressant sur les bases d’hommes forts du début du siècle, comme Frank Gotch et George Hackenschmidt. Enthousiaste et énergique cependant, Rocca dérive complètement des manières traditionnels et conservatrices de son époque – à l’instar d’un certain Gorgeous George, dans le domaine de la personnification et l’incarnation exagérée qui caractérisera le catch moderne. Face à tant d’originalité et de nouveauté, en plein essor de la télévision, le public répond positivement en masse au jeune Antonio. A tel point que le Madison Square Garden de New-York City, après quelques années sans catch, se remplit à nouveau dans les années 1950s. Rocca, quant à lui, est qualifié de “champion sans titre” par Pat O’Connor, le champion du Monde poids-lourd de la NWA en personne ! Arrivées les années 1960s, le territoire New-Yorkais est si puissant qu’il se détache de la NWA – une nouvelle ère commence doucement pour le catch américain. Pas étonnant qu’il a jadis battu Superman à plate couture, cet Antonio Rocca …
Tigres et Dynamites : Un cocktail explosif et révolutionnaire
Suite à plusieurs années d’établissement d’un certain standing et d’une réputation notable, la New-Japan Pro-Wrestling (encore elle) d’Antonio Inoki cherche à attirer et intéresser un public plus jeune, capable d’acheter plus qu’un ticket à l’entrée des shows. Se souvenant de sa collaboration à l’anime adaptant le célèbre manga des années 1970s Tiger Mask (relatant les aventures d’un catcheur au masque en tête de tigre), Inoki décide d’en utiliser les bases pour créer une nouvelle sensation éponyme. Il repère un jeune talent vivace du nom de Satoru Sayama et le désigne comme porteur initial du personnage ambitieux. Mais pour que le plan soit efficace, il faut aussi lui trouver un premier adversaire et rival à la hauteur. Parmi les poids-légers à son service au début des années 1980s se trouve un “gaijin” (un étranger), intense et talentueux britannique en provenance de Calgary, en Alberta au Canada – où est basée une nouvelle promotion alliée, Stampede Wrestling, en étroite relation avec sa principale associée américain, la World Wrestling Federation. C’est ainsi que Tom ‘The Dynamite Kid’ Billington est désigné comme premier adversaire de Tiger Mask, premier du nom – et quel choix !
Dès leur première rencontre sur le sol nippon en 1982, Tiger Mask, tout affublé de son masque de tigre, étonne son monde, avec des manœuvres dignes de comic-books et une impressionnante première victoire sur la petite boule de muscle anglaise. Comme les imiteront Naomichi Marufuji et KENTA/Hideo Itami à l’ouverture de la Pro-Wrestling NOAH deux dizaines d’années plus tard, Tiger Mask et Dynamite Kid font de leurs innovations stylistiques, une véritable révolution ! Bataillant férocement pour la double couronne de champion Junior Heavyweight (composée des délaissés WWF Junior Heavyweight Championship et NWA Junior Heavyweight Championship), les deux voltigeurs arrivent rarement par la suite à remporter une quelconque victoire, tant les deux sont sur le même sommet de technicité. Le 21 avril 1983, dans un autre “No Contest”, ils signent le tout-premier match, noté 5 étoiles, par le réputé critique Dave Meltzer – une distinction qui sera une preuve d’excellence suprême plusieurs années à venir.
Bien que brève, cette rivalité entre poids-légers en grande avance sur leur temps a su influencer le monde du catch, et plus précisément sa substance in-ring, comme aucune autre. Outre le fait d’avoir donné une nouvelle identité aux Junior Heavyweights japonais (une division initialement réservée aux rookies et jeunes poids-lourds, au sens propre et figuré, d’une promotion), marquée par la suite via la magie des Jushin ‘Thunder’ Liger, Ultimo Dragon et autres Great Sasuke, elle a inspiré plusieurs générations de catcheurs, du Japon et d’ailleurs. Black Tiger/Eddie Guerrero, Dean Malenko (et son frère méconnu, Joe Malenko, fils du lutteur Boris Malenko), Chris Jericho et surtout Chris ‘Pegasus Kid/Wild Pegasus’ Benoit (lui-même grande inspiration de Bryan Danielson/Daniel Bryan, Prince Devitt/Finn Balor ou encore Davey Richards) seront, la décennie suivante, les porte-étendards d’un nouveau genre de catcheurs, les “Super Juniors”, permettant les succès de la division Cruiserweight de la World Championship Wrestling, tant appréciée par les fans américains. De plus, des catcheurs originaux comme le charismatique Too-Cold Scorpio/Flash Funk et le jeune et frêle 1-2-3 Kid (plus tard Syxx ou X-Pac), notamment dans un combat face au champion du Monde, Bret ‘The Hitman’ Hart, démocratiseront ce style à grande-échelle à la WWF. Le signal que la relève arrive du côté des États-Unis, aussi.
Les années 1990s-2000s, la naissance d’un nouveau style
Alors que Guerrero, Benoit & Co. ré-inventent le catch poids-léger au gré des Super J Cup au Japon, l’Extreme Championship Wrestling qui les emploie sur l’autre continent s’offrent plusieurs stars de la nouvelle promotion mexicaine en vogue, l’AAA. Des luchadores neufs et frais, tels Rey Mysterio Jr., Psicosis et Juventud Guerrera, apportent la nouvelle vague de la Lucha Libre et son “high-flying” de haut acabit aux States. Sans surprise, les fans américains en pleine effervescence des Monday Night Wars en demandent et en redemandent. Ainsi, une fois ces joyaux in-rings partis pour de plus lucratifs pâturages, l’ECW de Paul Heyman ramène deux américains spécialistes d’acrobaties sur le ring. Dans la même lignée que le voltigeur “hardcore” Sabu ou Hayabusa au Japon, l’arrogant et décontracté Rob Van Dam rencontre le plus expérimenté et réservé Jerry Lynn. Si tout paraît donc les opposer en dehors, ils semblent fait l’un pour l’autre sur le ring.
En 1999, à Living Dangerously puis Hardcore Heaven, les deux “high-flyers” délivrent des performances hors du commun, alliant le spectaculaire au violent traditionnel de l’ECW. Autrement dit, plus que Sabu, The Sandman et Terry Funk avant eux, ils redéfinissent le “catch extrême”. Rivaux dès lors, ils vont ainsi lancer le reste de leurs carrières respectives : RVD est tout de suite, avec The Invasion en 2001, l’une des stars les plus populaires de la WWF/E ; et Jerry Lynn est intégré, à l’ouverture même de la NWA-TNA/Total Non-Stop Action, comme le pilier de sa X-Division. Une division poids-moyen augmenté où, à l’instar de ces deux principales inspirations, va souvent flirter avec le “spot-fest wrestling” (un style cher à Teddy Hart ou Jack Evans, auparavant, ne consistant qu’à l’exécution successive de grosses prises ou prises risquées, sans lien entre elles, sans “selling” et sans “storytelling”) mais forgera à jamais la réputation de la promotion avec des talents exceptionnels comme AJ Styles, Petey Williams, Chris Sabin (dont on retiendra l’Ultimate-X Match de TNA Final Resolution 2005) ou Low-Ki.
De cet “indy style” homogénéisé naît, en ce milieu des années 2000s, pléthore de catcheurs indépendants s’en réclamant : Paul London, Evan Bourne/Matt Sydal via sa série de matches face à l’amusant Human Tornado, PAC/Neville en Grande-Bretagne, puis au Japon et aux États-Unis, les Young Bucks (Nick & Matt Jackson), Kota Ibushi au Japon, le mexicain Samuray Del Sol/Kalisto, AR Fox, etc (sans parler des descendants des luchadores des années 1990s, comme La Sombra, Volador Jr. et le premier Mistico/Sin Cara/Myzteziz, à la CMLL, ou Fenix et Drago à l’AAA). Tous, tels les pseudo-révolutionnaires polémiques Ricochet et Will Ospreay, sont donc le résultat de décennies d’innovations et de vraies révolutions et évolutions en matière de catch – ils sont en somme les chefs de fil d’une diversité nécessaire, formée et conçu bien avant même leurs propres naissances. Rien de réellement nouveau à proprement dit ne justifie cette controverse à multiples échelles, observées sur les réseaux sociaux sous la forme d’une véritable guerre civile (Team Vader & Jim Cornette vs. Team Ricochet & Ospreay ?). Mais sans doute ces débats ont-ils réussi au moins à faire émerger les bonnes questions, lesquels ne devraient pas avoir comme objet le dit match de NJPW BOSJ XXIII. Que doit-on considéré comme néfaste pour le catch ? Qu’est-ce qui peut le décrédibiliser ? Qu’est-ce qui est néfaste pour le sacro-saint “kayfabe”, qui garantit la suspension volontaire d’incrédulité du spectateur, et ainsi son investissement émotionnel qui fait ensuite de lui un fan ? La réponse n’est peut-être pas sur le ring, sinon bien des choses évoquées ici n’auraient jamais vu le jour. Sans doute la créativité complaisante et terriblement inefficace des dirigeants et promoteurs actuels (*tousse* Vince McMahon *tousse* Kevin Dunn *tousse*) est à remettre en question, plutôt que celle des talents ayant accomplis des décennies durant des progrès monstrueux par eux-mêmes …