Le 7 mai dernier, WWNLive Promotions présentaient EVOLVE 61, orchestré autour d’un catch de haut acabit habituel, et d’une conclusion épique. En somme, dans sa rivalité amer face à son ancien partenaire Johnny Gargano, Drew Galloway avait surpris son monde en ramenant Ethan Carter III – top-star de la compagnie dont Drew est aujourd’hui le champion – pour l’aider à dénoncer une alliance NXT-EVOLVE contre-productive. Si, à l’écran ce soir-là, cette histoire semblait grosso modo s’arrêter là, elle en est devenue encore bien plus intéressante une fois au centre d’un nouveau mini-documentaire réalisé par le jeune et génial Kenny Johnson. Lui qui, avant sa collaboration avec l’EVOLVE dès l’an dernier, avait signé plusieurs portraits documentaires sur des catcheurs du circuit indépendant comme un jeune Adam Cole, un arrogant Ethan Page ou un Sami Callihan franc du collier.
Dans celui-ci, appelé “The War Chronicles” (le second de la série à suivre une “storyline”, après “Riddle vs. Thatcher I” et non un catcheur en particulier), est récapitulé le développement d’une rivalité devenue beaucoup plus complexe et dense qu’elle semblait être initialement. En outre, les personnages (ou personnes ?) impliqués y ont tous un même temps de paroles, chacun mettant au clair sa raison d’exister dans le scénario et sa position dans cette “guerre” maintenant déclarée. Un package d’onze minutes qui suffit à compléter parfaitement le “big angle” d’EVOLVE 61, tout en nous faisant assez saliver pour en voir plus, en comprendre plus … et en imaginer plus. Le catch indépendant aurait-il trouvé le médium pour enfin nous raconter les meilleurs histoires possibles ?
L’intrication de toutes choses : bénéfique dans un monde désormais partagé
Hier, sortait sur le site web du New-York Times (du jamais vu !) “Is Everything Wrestling ?“, comme un cri de lucidité d’un journaliste et fan de catch, voulant montrer que toutes les manœuvres, manipulations, magouilles et Cie de l’univers télévisuel occidental (des clips musicaux aux télé-réalités, en passant par les incidents d’émissions en direct et les discours politiques) pourraient avoir lieu dans une “storyline”, un “angle” ou une “promo” de catch. En somme, une réalisation que les règles du “kayfabe” (plus que n’importe quelle diégèse, qu’elle soit cinématographique, romanesque ou théâtrale) et ses barrières oscillantes et poreuses face à la réalité, pourraient aussi bien s’appliquer au catch qu’au reste des phénomènes pop-cultures télévisés – et, qu’en cela, ils sont tous aussi “fakes” que le catch et que, a fortiori, si ils méritent d’être observés par le grand public, le catch aussi ! Ce genre d’intrications, hautement divertissantes volontairement ou non, n’a jamais eu de meilleur exemple que ce dernier scénario écrit et délivré par Gabe Sapolsky (fondateur et dirigeant d’EVOLVE).
Cette “guerre”, qui ne fait que commencer, est détentrice de cette particularité à deux niveaux. D’abord, sur le fond : comme évoqué précédemment dans L’Humeur Indépendante, des dilemmes compréhensibles de jalousie et fierté s’ajoutent à des problématiques complexes comme l’origine du succès, l’opposition entre liberté de l’indépendance et pouvoir de la corporation, ou encore de la meilleur direction pour évoluer. Un enchevêtrement d’idées, d’opinions et d’émotions qui, correctement agglutinées les unes aux autres, sont les moteurs de l’autre niveau d’intrication narrative. Celles de multiples “storylines” correctement entremêlées, aux profondeurs équivalentes à leur manière, pour obtenir une histoire buissonnante et complexe, sans être illisible. Car, en effet, au sein de cette “guerre” entre le camp de Galloway, faible en nombre, mais fort en idéologie, et celui de Johnny Gargano, le fédérateur et honorable père fondateur, évoluent différents enjeux. Outre la fierté d’accomplissement et de succès à venir (à la fois pour lui et EVOLVE, grâce à sa solidification de l’alliance entre EVOLVE et NXT) de ce dernier, opposée à la jalousie égocentrique couplée à la crainte expérimentée de l’effet corporation sur le catch indépendant de Galloway (allié à un cas similaire, EC3, lui aussi top-star “face” de la TNA – une association qui marche ainsi aussi bien dans l’univers “kayfabe” d’EVOLVE qu’elle pourrait désormais être plausible à la TNA), se jouent la rédemption d’Ethan Page auprès de son ex-mentor, la place de lutteurs comme TJ Perkins et Drew Gulak dans le WWE Cruiserweight Classic, la prise de pouvoir de Catch Point face au gouvernail bancal (scénaristiquement) qu’est devenu Timothy Thatcher, etc. Le tout, entremêlé de la façon la plus organique (comme la bonne intrication des fonctions physiologiques d’un organisme vivant), avec une cohérence et une logique (vis-à-vis, à la fois du “kayfabe” et de la réalité) implacables. Un excellent phénomène d’enchevêtrement – digne d’un grand climax de Game of Thrones – jamais vu depuis Raven vs. Tommy Dreamer à l’ECW !
Plus de réalisme, pour mieux alimenter l’imaginaire d’un univers réel
Cependant cette démonstration de logique, cette cohérence et donc, ce réalisme, malgré toute la créativité du disciple de Paul Heyman (justement) qu’est Gabe Sapolsky, n’aurait jamais été assez efficace sans les performances plus qu’adéquates et satisfaisantes de tous les talents impliqués. En dépit de certains progrès au fil des années, Johnny Gargano et TJP (associé au “part-timer” de NXT, car lui aussi de la première heure d’EVOLVE, auquel il peut s’identifier et et aux valeurs qu’il peut reconnaître … à l’instar des fans du premier jour achetant les iPPVs) n’ont jamais été des catcheurs définis par leur charisme. Néanmoins, par leur compréhension profonde de la “storyline” dont ils font partie, ils démontrent à travers le mini-doc ci-dessous qu’ils sont capables de surmonter cette faiblesse par une incarnation précise des personnages qu’ils jouent, très proches de ce qu’ils peuvent penser en réalité. Autrement dit, dépourvus du charisme d’un ‘Stone Cold’ Steve Austin ou d’un Hulk Hogan, ils sont pourtant vecteurs d’une crédibilité et, ispo facto d’un certain réalisme, pour la narration fictive dont ils sont les protagonistes. Ou quand le réalisme renforce la crédibilité d’une histoire imaginaire : n’est-ce pas cela la sève de la plus efficace des “suspensions volontaire d’incrédulité” ? Celle qui nous permet d’apprécier un film du début à la fin sans jamais en sortir, pour analyser et critiquer. Celle qui nous fait investir nos émotions, plongeant corps et âme, dans une histoire à laquelle on est en mesure de croire et de comprendre. Celle, dont le potentiel maximal ne peut être qu’uniquement proposer par le catch. Ce théâtre au “quatrième mur” poreux, où spectateurs et acteurs interagissent organiquement, modifiant parfois une narration en cours. Ce cirque ambulant qui, malgré les limites pré-établies de son “kayfabe”, suit les événements de la réalité et s’en sert pour la magnifier. Cet art qui produit la plus pure forme d’imagination et influence, induit celle des autres qui observent l’œuvre en résultant.
Voilà tout simplement ce qu’ont réussi à faire ensemble Gabe Sapolsky, metteur en scène du “big angle” d’EVOLVE 61, et Kenny Johnson, réalisateur de sa sur-expression via ce mini-doc. Aussi importante que l’événement in-ring, cette vidéo est en quelque sorte ce qu’était Wrestling With Shadows au Montreal Screwjob : un médium crédible pour mieux comprendre, non pas une narration, mais un fait réel dans un monde “imaginaire” et “fake”. Une combinaison engageante et passionnante qui, ajoutée au facteur “réalité”, pourrait bien dépasser n’importe quelle fantaisie réussie à la Lucha Underground ou Ashes de la Chikara (elle-même, qui plus est, basée sur un déroulement très réaliste) et juste révolutionner la nature du produit catch télévisuel.