Dans environ un mois, la WWE va démarrer les enregistrements d’une nouvelle émission, et avec un tournoi exceptionnel éponyme – espérons-le, version inaugurale d’un format annuel – sur son Network, le Cruiserweight Classic (le nouveau nom des “Global Cruiserweight Series”, pour mieux coller avec un précédent tournoi, le Dusty Rhodes Tag Team Classic). Une compétition, opposant 32 lutteurs poids-moyens (des Cruiserweights, Junior Heavyweights ou encore Super Juniors), dont une bonne partie provient de promotions indépendantes extérieures à la WWE. Autrement dit, du jamais vue de la part de Stamford, qui semble être le véritable point culminant d’une progression positive de sa philosophie (ou en tout cas, de celle d’un côté de la WWE) et d’une ouverture plus bienveillante sur l’extérieur, si petit face à elle.
Un événement qui, il y a à peine quelques années, n’aurait été l’objet d’une poignée de “fantasy bookings” de fans rêveurs. Révélation qu’un nouveau phénomène est bel et bien en cours dans la plus haute sphère du catch mondial – une “nouvelle ère” diraient même les intéressés, un peu prétentieux – ou ne serait-ce qu’en apparence ? Cette récente vague de signatures de stars et ex-stars de la scène indépendante internationale est-elle un vrai pas de plus vers la bonne direction ou n’est-elle qu’un écran de fumée pour déguiser les mêmes idées et pratiques habituelles des mêmes dirigeants ? Des interrogations dues à des années de mauvais traitement des stars du circuit indépendant par la WWE …
Kevin Steen/Owens, ROH Best In The World 2011 et les merveilles du catch indépendant
Comme retranscrit par le passé dans un article nommé “#5 ‘Mark Out Moments’ : le ‘F**k You, Ring of Honor !’ de Kevin Steen” (publié au sein d’un Top 5, en 2014 sur CAQ), les principes et valeurs du catch indépendant occupent une place toute-particulière dans mon cœur de fan de catch. Après plusieurs visions brèves et floues de la Ring of Honor, de la CZW et de la Chikara auparavant, j’ai véritablement découvert cette partie du monde du catch en 2011 – suite à l’effet révélateur de la “pipebomb” d’un certain CM Punk, la même année. Avec Best In The World 2011, un Internet Pay-Per-View entre deux ères pour la ROH à l’époque, je tombais amoureux d’un style plus technique et attrayant sur le ring, d’une ambiance plus mature et enthousiasmante en décor et surtout de talents, la majorité d’excellent acabit, aux personnalités rafraîchissantes. Parmi eux, certains ne m’étaient pas inconnus – Rhino, Homicide, Jay Lethal, World’s Greatest Tag Team (Shelton Benjamin & Charlie Haas) et Christopher Daniels notamment -, d’autres m’apparaissaient comme les porte-étendards d’un nouveau monde à découvrir : Davey Richards et Eddie Edwards dans le Main-Event, les Kings of Wrestling (Chris Hero et Claudio Castagnoli/Cesaro), le kitsch mais non moins touchant El Generico, et surtout Kevin Steen. Interrompant le programme pour tenter de réintégrer le roster, il avait retourné sa veste en un clin d’œil en insultant la promotion elle-même, attaquant son autorité et ses collègues sur le ring. En un instant, le charisme, la passion et le génie de Steen s’étaient révélés à moi et m’avaient “gagnés” – Steen était massivement “over” pour le fan instantané que j’étais devenu.
Désormais, bien installé dans le main-roster de la WWE sous le nom de Kevin Owens (en l’honneur de son fils Owen, appelé ainsi en hommage à Owen Hart) après des débuts en trombe à NXT puis à RAW, il réussit à épater un immense nombre de fans, collègues, spécialistes et vétérans et, qui sait, peut-être bientôt Vince McMahon lui-même. Cette transition pour le moment parfaite du circuit indépendant à la “big league” s’est vue pour plusieurs autres de ses anciens compagnons de route : Tyler Black/Seth Rollins, Jon Moxley/Dean Ambrose et son meilleur ami et rival de toujours El Generico/Sami Zayn.
El Generico/Sami Zayn et la réforme philosophique signée NXT 2.0
En 2013, lors de la confirmation de sa signature à la WWE, plutôt qu’une certaine joie et excitation – comme on peut en ressentir maintenant à l’aube des débuts d’un ancien champion du Monde poids-lourd de la TNA à NXT -, j’avais exprimé mon inquiétude et mes appréhensions dans un opus du Bulletin Indy (ancienne chronique hebdomadaire sur CAQ). Magicien sur le ring, le québecois disant venir de Tijuana, au Mexique, et parlant un espagnol presque muet, était resté planqué sous son masque durant toute sa carrière. La rumeur (lourdement confirmée de partout) l’annonçant perdant son masque et changeant de nom semblait pointer vers un nouveau gâchis de la part de Stamford. Sans la réputation du NXT 2.0 que l’on connait aujourd’hui, il était extrêmement difficile de ressentir cette fierté de voir l’un de nos “chouchous inconnus” partir montrer sa valeur aux yeux du monde. Aussi, la WWE n’était pas avare d’exemples similaires de stars du circuit indépendant devenus victimes de ses penseurs et dirigeants complaisants, fermés et obstinés que sont Vince McMahon et Kevin Dunn : Paul London, viré comme un mal-propre après avoir ouvert la porte aux catcheurs indépendants, Low-Ki/Kaval sous-utilisé et humilié, Colt Cabana/Scotty Goldman engagé puis oublié, Chris Hero/Kassius Ohno déjà sur la mauvaise voie à peine signé, même Bryan Danielson/Daniel Bryan ne vivait pas des heures toutes roses plusieurs années après y avoir débarqué, etc. Avec NXT 2.0, beaucoup de points de vue ont ainsi changé. Offrant des matches merveilleux les uns derrière les autres, et utilisant les PAC/Neville, Zayn et autres Cesaro à la hauteur de leurs talents, ce théâtre pour lutteurs en développement, mené par un Triple H ayant ouvert les yeux et se rappelant à ses bons souvenirs de l’efficacité “old-school” des Jim Crockett promotions, avait même réussi à redonner une vraie importance au catch féminin – un exploit à Stamford.
Mieux encore, NXT 2.0 – en parallèle avec une ouverture d’esprit général de la part d’Internet et des fans – avait induit une considération nouvelle de l’extérieur de la part de la WWE. Les palmarès remplis ailleurs des nouveaux venues étaient mieux détaillés, et surtout ces derniers ne venaient plus de nulle part. Mais même avec les signatures de KENTA/Hideo Itami et Prince Devitt/Finn Balor venant du Japon, où le catch suit des règles différentes, des doutes planaient encore (qui plus est, avec le raté de la TNA concernant Kazuchika Okada, depuis le nouvelle top-star de la NJPW) : seront-ils s’adapter aux conditions demandées ? Pourront-ils s’exprimer pleinement ? Les fans ne les connaissant pas sauront-ils les apprécier à leurs justes valeurs, comme nous ? Leur parcours n’est pas encore terminé à NXT – à Shinsuke Nakamura y compris – donc rien n’est encore pleinement joué, mais ce brouillard de doutes s’est depuis bien réduit. Mais que se passera-t-il après ? Qu’adviendra-t-il de leurs talents si bien exploités à NXT une fois qu’ils l’auront quitté ? Sauront-ils utilisés à la même hauteur que des Rollins ou des Ambrose, ou resteront-ils coincés dans les limbes sous les Main-Events, comme Cesaro ?
Vague de stars de l’indy à la WWE, vrai pas en avant ou écran de fumée ?
Car malgré l’actuelle sur-abondance, plus qu’une émergence, de ce genre de stars – Austin Aries, Samoa Joe, Nakamura, Karl Anderson, AJ Styles étant les derniers arrivés -, est-ce vraiment signe d’un profond changement de philosophie de la part des dirigeants suprêmes de la WWE, ou simplement d’un parmi d’autres (Triple H, entre autres) ? On en revient alors à cette brumeuse “nouvelle ère” balancée à WWE Payback 2016, tant on sait que rien n’arrive et n’arrivera au niveau des Roman Reigns, John Cena, The Rock et de la famille McMahons dans la hiérarchie de la WWE. CM Punk et Daniel Bryan ont réussi leurs paris en leur temps, mais quelles galères et obstacles s’en étaient précédés !
Pour s’imaginer la reproduction de mêmes parcours tumultueux, il ne faut pas regarder plus loin que Dean Ambrose. Un “upper mid-carder” établi, très populaire et au talent reconnu par ses promoteurs, mais qui stagnent terriblement et peine à s’exprimer aux meilleurs de ses capacités – à tel point qu’il n’a même pas profité d’une victoire méritée à bien des Pay-Per-Views/Special Events, notamment WrestleMania 32. A la lumière de cet exemple, il est raisonnable de penser à l’hypothèse de l’écran de fumée : pour mieux faire passer la pilule qu’ils tiennent tant à faire avaler, McMahon & Cie protègent leurs arrières, cachant l’arbre Roman Reigns – le malheureux “élu” représentant cette pilule de complaisance et conservatisme contre-productif (en somme, mêmes “storylines”, même 50/50 et on-off “booking”, mêmes “pushs” sans se soucier du long-terme et des conséquences qu’il pourrait contenir) – derrière une forêt de talents connus et réclamés des “hardcore fans” si bruyants et difficiles à manipuler, comme les Styles, les Bullet Club, les Nakamura et autres … Cruiserweights justement. Ainsi, aux Zack Sabre Jr., Johnny Gargano et autres Kota Ibushi qui sont inscrits au Cruiserweight Classic à venir, je m’autoriserais ce conseil (inspiré, pourquoi pas, de la colère “kayfabe” d’anciennes victimes, EC3 et Drew Galloway) : je vous souhaite tout le bonheur du monde … mais restez tout de même sur vos gardes.