C’est bon d’être fan de catch en 2016“. Le catch indépendant en avait effectivement rarement vu des week-ends pareils. Samedi soir dernier, l’EVOLVE de Gabe Sapolsky complétait son “double-shot” (deux shows d’affilée, sur deux soirées consécutives au même endroit) avec EVOLVE 61. A son terme, en plein milieu du Main-Event – un Grudge Match entre les deux anciens partenaires, champions par équipe et “Aces of the WWN Family”, Johnny Gargano et Drew Galloway – Ethan Carter III, l’ancien champion du Monde poids-lourd de la TNA, dont il est l’actuel top-“babyface”, avait interrompu les hostilités, démolissant le gentil Gargano. Surprenant le public new-yorkais sur place, totalement pris au dépourvu, une prise de pouvoir physique du ring agrémenté d’un discours s’en était suivi (Lire la retranscription).

Le soir suivant, devant l’habitué Frontier Fieldhouse de Chicago, la Ring of Honor présentait un autre Pay-Per-View inter-promotionnel avec la NJPW, Global Wars 2016. L’affiche ? Le premier match de championnat du Monde pour le héros local Colt Cabana, faisant face à Jay Lethal, après plus de 6 ans d’absence. Un plat de résistance parfait sur le menu, mais qui aura finalement souffert à table d’un lourd dessert arrivé bien trop tôt : là aussi, de nulle part et sans crier gare, la “Superkick Party” avait investi le Main-Event, l’arrêtant abruptement et révélant au passage un nouveau membre américain du Bullet Club, Adam Cole. Deux poids, deux mesures, révélateurs d’une nouvelle balance au sommet de la scène indépendante américaine. Deux “happenings” diamétralement opposés qui permettent de rappeler que la forme doit aller avec le fond, pour que la création opère le mieux possible.

ROH Global Shit Wars 2016

ROH Global Wars 2016 : assez bonne idée, très mauvais moment

Outre les nombreux problèmes structurels et choix créatifs bancals que montrent la Ring of Honor aujourd’hui, la conclusion de ce PPV est, selon moi, un point culminant des défauts (actuellement, plus nombreux que les qualités, pourtant reconnues et reconnaissables) du régime d’Hunter ‘Delirious’ Johnson. Alors, comme l’an dernier, assez peu portée sur l’attention des fans présents pour le WrestleMania Week-End (les autres ne pouvant observer son show, ce dernier non-retransmis en direct via iPPV/PPV), Supercard of Honor avait réussi à faire le buzz grâce au retour inattendu de Colt Cabana, ambassadeur du catch indépendant depuis quelques années, jusque là brouillé avec la Ring of Honor depuis l’investiture de Jim Cornette. C’est là après une promo passionnée qu’il avait lancé son défi au champion et incontestable #1 de la promotion, Jay Lethal. Un “build-up” simple et adéquat pour préparer l’affiche du prochain Pay-Per-View à venir, justement sur les terres du meilleur ami de CM Punk. A excellente opposition narrative allait se joindre un excellent face-à-face in-ring, quoi qu’allait être le résultat. Ainsi gâcher la fête avec un No Contest (petit détail d’ailleurs qui prouve que la Ring of Honor n’est plus ce qu’elle était, dommage) pareil, donnant un énorme “spotlight” aux machines à Superkicks que sont les Young Bucks (ils en ont même profité pour en place un double à leur père, sans raison “kayfabe” donnée … tout à fait inutile), et l’équipe “remplaçante” du Bullet Club, n’était donc vraiment pas la démarche la plus adéquate – un véritable acte de publicité mensongère, en fin de compte.

Prouvant encore une fois que ce qui est cool au Japon est forcément plus cool que ce qui vient de la ROH, la déclaration de guerre du Bullet Club envers cette dernière (même à Mr.Wrestling III/Steve Corino et son pathétique “Superkick Party Meter”) arrive qui plus est bien tard. Depuis maintenant deux ans, la New-Japan vient de plus en plus régulièrement squatter les shows de la Ring of Honor, souvent en compagnie d’un Bullet Club juste cool et taquin. Et seulement maintenant, simplement parce que la WWE débute à reprendre le buzz pour elle (avec AJ Styles, Karl Anderson & Luke Gallows formant The Club), se décide-t-elle à la jouer comme les autres – le Bullet Club passant d’attraction à clan hostile, et s’arrogeant non pas un mais deux membres du roster local. Certes, c’est une bonne continuation pour la carrière d’Adam Page, et Adam Cole est parfait pour ce rôle surtout avec sa perte de contrôle depuis ROH Best In The World 2014. Cependant voilà, bon scénario, mauvais timing. Bon fond, hideuse forme. L’homme aux milles reviews, Larry Csonka, fondateur du très prisé site anglophone 411mania, en était assez dégoûté pour lui octroyer une rare note d’1/10. Indigné d’avoir payé 45$ (à l’heure des WWE Networks et New-Japan World donnant accès au même type de contenus pour 10$ environ) pour assister à une fin aussi abrupte, il avait déclaré : “Je ne peux pas croire d’avoir payé autant pour une ignominie pareille – la Ring of Honor devrait avoir honte d’avoir eu l’audace de produire ça pour un tel prix“. En comparaison, il avait donné un 8,5/10 bien mérité à EVOLVE 61

Plus que WWE vs. TNA, l’EVOLVE se lance subtilement dans un Indy vs. Corporate

EVOLVE montageNous voilà, debout devant vous, deux vraies réussites du catch indépendant. Deux succès indépendants de la machine corporatiste [la WWE], et accomplis malgré les dictâtes de cette machine“. Une belle citation, signée de la verve géniale d’EC3, qui résume assez bien le propos de cette nouvelle “storyline”. Dernier champion EVOLVE avant l’investiture de la nouvelle génération, Drew Galloway s’était naturellement allié à l’ancien visage de la Dragon Gate : USA (précédemment promotion sœur de l’EVOLVE), Johnny Gargano, pour remporter le tournoi inaugural pour les championnats par équipe d’EVOLVE. Néanmoins, au même moment, l’EVOLVE s’était attiré les faveurs du très influent Triple H, créateur et patron du “brand” développemental qui monte à Stamford, NXT – prévoyant de faire de la promotion de Gabe Sapolsky, son fournisseur de talents et lien privilégié avec le circuit indépendant. Galloway, progressivement délaissé puis humilié avant d’être salement licencié par la WWE, avait malgré tout réussi brillamment sans elle, empochant titres sur titres dont plus récemment celui de champion du Monde poids-lourd de la TNA. En somme, il avait autant adopté le circuit indépendant que celui-ci l’avait adopté lui. Aux vues donc de son parcours et de son vécu, Galloway ne pouvait alors que rejeter ce phénomène qui pour lui, au lieu d’alliance d’avenir bénéfique, apparaissait comme le début d’une gangrène corporatiste. Puis, lorsque Gargano – devenu “part-timer” régulier à NXT – se révélait comme fervent soutien de cette alliance NXT-EVOLVE, c’en était trop : comme lors de son retour à l’ICW, l’écossais avait décidé de ranimer son “esprit 1314” et de s’insurger contre la corporation naissante. Profondément déçu, c’est ainsi qu’il rejeta Gargano une fois les titres par équipe perdu et qu’il ramena “l’outsider surprise” et collègue de la TNA, EC3, à ses côtés samedi dernier. Un développement résultant d’une narration progressive, organique et surtout ô combien ancrée dans la réalité. 

Face au manque multidimensionnel d’identité de la ROH et de sa direction créative, comme si bien démontré à la fin du cruellement nommé “Global Shit Wars”, l’EVOLVE passe à un niveau supérieur de progrès identitaire et de qualité de son produit. En parallèle d’une originalité in-ring soutenue et affirmée, l’EVOLVE la complète désormais avec un scénario particulièrement engageant et légitime. Ici, bonne idée et bon timing sont présents tous deux à la fois. Qui plus est, bon timing aussi bien pour le côté créatif que pour les talents impliqués : avec la TNA sérieusement proche du gouffre (ou d’une altération majeure, avec l’arrivée d’une nouvelle structure dirigeante, apportée par un nouveau propriétaire), un tel “happening” (au buzz positif celui-ci) ne peut qu’être avantageux pour EC3 et Drew Galloway, parmi les derniers piliers restants à la compagnie de Dixie Carter. Enfin, en terme de créativité, voilà qui indique bien l’état d’esprit de la direction d’EVOLVE : avec cet “angle” à la teneur risquée, vis-à-vis de sa récente alliance avec NXT, Gabe Sapolsky prend du recul sur les choses pour les tourner à son avantage et celui de sa promotion. Acceptant à bras ouverts ce nouvel horizon pour son organisation, il est loin de vouloir se faire exploiter, prouvant en outre (et en vrai “Paul Heyman Guy”) à tous son utilité et son ingéniosité créative. Alors que Delirious semble être un simple mouton, surfant sur la vague de Stamford, Gabe Sapolsky apparaît comme un génie, se jouant de la corporation avec qui il fait désormais son lit.