Autant en littérature qu’en peinture, le réalisme artistique s’appuie sur la reproduction la plus fidèle et la plus crue de la réalité et de la vie quotidienne. Il s’oppose au romantisme, qui exalte les traits de la vie réelle pour une expression plus idéalisée des choses. Le réalisme, lui a contrario, ne veut pas les surjouer ou les embellir, il veut simplement les dépeindre le plus précisément possible, dans toute leur gravité et leur subtilité naturelle. Dans cet art sous-considéré qu’est le catch, le réalisme ne se traduit plus généralement sur le ring. C’est une forme adoptant un “storytelling” organique, en adéquation la plus parfaite avec l’histoire racontée, la “in-ring psychology” la plus finement menée (jouant sur tous les paramètres influençant le match : le type d’opposition entre les deux catcheurs, leurs faiblesses émotionnelles et physiques, leurs différences physiques, l’interaction avec l’environnement et le public, mais aussi les personnages d’arrière-plan comme l’arbitre ou les commentateurs) et surtout un style de combat sans fioritures et sans tomber dans le spectaculaire inutile, juste le nécessaire accentué par le meilleur “selling” possible.
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Ce in-ring réaliste – en opposition avec le cirque du “rope-opera” de la WWE ou le cinéma au ton fantastique, aux matches incroyables, de Lucha Underground – provient d’un âge ancestral de l’histoire du catch, celui où tout était bon pour ne pas érafler le sacro-saint “kayfabe”, dont le secret n’était pas encore connu de tous. Pourtant, il ressurgit étonnement aujourd’hui avec la nouvelle génération d’EVOLVE, menée par Catch Point et Timothy Thatcher, les séries de combats titanesques de Tomohiro Ishii, Shinsuke Nakamura (ça … c’était avant) et autres Katsuyori Shibata à la NJPW, la résurrection de Minoru Suzuki à la NOAH, ou encore le renouveau d’un catch britannique. D’où vient cette résurgence ? Comment s’est-elle formée ? Que signifie-t-elle ? Rétrospective !
A l’origine était le “catch-as-catch-can” …
Le “pro-wrestling” que l’on connaît ainsi nommé a été développé par les exploits d’hommes forts comme Frank Gotch et George Hackenschmidt dans l’Amérique du début du siècle dernier, mais son origine est encore plus ancienne. Importé aux États-Unis via les différentes vagues d’immigration britannique et irlandaise au cours du 19ème siècle, il est d’abord dénommé “catch-as-catch-can” – un hybride de lutte gréco-romaine, de pugilat antique et de boxe anglaise. Organisé jusque là dans des salles obscures ou des sous-terrains miteux (un peu à l’image de ceux du film Fight Club), les combats de ce catch primitif ne sont pas réglementés et n’existent que parallèlement à un système de paris. Une fois en Outre-Atlantique, il devient plus festif et, a fortiori, américanisé. Numéro de festivals itinérants (les “carnies”), il est le support d’attractions sur paris à l’intitulé “saurez-vous mettre à terre l’homme le plus fort du monde ?“. Néanmoins, les lutteurs, employés de ces défis arrangées, forment pour la première fois une hiérarchie : du “journeyman” – le rookie aux tâches multiples – aux “élites”, en passant par les “hookers” de – qui s’occupent des challengers récalcitrants – et les “shooters” – les vrais pros.
Si le “shoot wrestling” est encore loin de sa création (à lire plus bas), et alors que le “kayfabe” et sa structure se composent progressivement aux États-Unis, le catch britannique originelle continue difficilement à exister sur ses propres fondations. Il faut attendre les années 1960s, et les décennies suivantes, et l’apparition du programme World of Sports pour en observer une véritable ré-émergence. Menée malgré tout par les lourdauds populaires Big Daddy et Giant Haystacks, la nouvelle génération est peuplée de jeunes techniciens de génie : l’honorable Johnny Saint, emblème oublié du catch britannique, le respecté Billy Robinson, le talentueux Robbie Brookside (aujourd’hui entraîneur au Performance Center), l’appliqué Steven Regal (aka William Regal) ou encore le “stiff” pur sang irlandais Fit Finlay. Moins rude, le “style World of Sports” accompagne l’exploit technique complexe et utile à la rudesse du “catch-as-catch-can” initial. Un in-ring astucieux et tout en finesse qui inspirera grandement les Doug Williams, Nigel McGuinness, Marty Scurll et autres Zack Sabre Jr. qui suivront après la mort de l’iconique programme britannique.
Gotch, Inoki, Ali et la naissance du MMA
L’autre inspiration principale au style in-ring réaliste progressivement à la mode actuellement provient de l’autre côté de la planète, au Japon. Ramené par les soldats américains voulant se changer les idées durant l’après-guerre au début des années 1950s, le “pro-wrestling” – ou “Puroresu” en japonais – s’y installe dans sa forme la plus traditionnel, mais va rapidement se voir complètement modeler par un ex-sumo coréen, Rikidozan. Star immédiate pour le public, ce grand et fort asiatique décimant les envahisseurs américains à coups d’atémis devient le porte-étendard d’une nouvelle mouvance du catch en devenir. Fondateur de la première promotion de catch japonais, affiliée à la NWA, le père du Puroresu va ensuite laissé sa place à deux de ses meilleurs disciples : d’ici là, au début des années 1970s, Giant Baba et Antonio Inoki décident de se partager le milieu nippon. Si Baba et sa All-Japan Pro-Wrestling préfèrent garder une approche conservatrice, Inoki et sa New-Japan Pro-Wrestling choisissent la voie de l’innovation. Suivant son mentor belge Karl Gotch (d’influence britannique justement), il organise, en 1976, le premier combat d’arts martiaux mixtes, opposant le catch à la boxe – représentée par Muhammad Ali : le “strong-style” est né.
Puis, au début des années 1990s, ce style japonais de base – faisant appel à des coups percutants et à un esprit combattif, caractéristique du folklore japonais – connaît une dérive majeure. En 1984, plusieurs lutteurs de la NJPW (notamment Yoshiaki Fujiwara (l’inventeur du Fujiwara Armbar), le jeune et talentueux Nobuhiko Takada, et Satoru Sayama, l’ex-Tiger Mask I) la quittent pour former l’Universal Wrestling Federation (UWF). Voulant pousser à l’extrême le “strong-style”, ils créent le “shoot-style” (ou “shoot wrestling”), un catch à la limite du vrai combat, sans quelconque forme de “kayfabe” le supervisant. Très controversée, elle acquiert un succès immédiat au début des années 1990s lors de sa restructuration en UWFi, alors placée en concurrence directe avec la NJPW. Fermée en 1996, suite à une invasion à la New-Japan, elle est particulièrement reconnue comme le modèle de la révolutionnaire Pancrase – et de son “hybrid wrestling”, développé par Minoru Suzuki et Masakatsu Funaki – et donc comme l’instigatrice du sport de combat le plus populaire de nos jours, les Mixed Martial Arts. Car voilà d’où vient cette résurgence d’un in-ring réaliste : du succès immense de l’Ultimate Fighting Championship, le plus grand fournisseur de MMA au monde, redéfinissant ainsi ses propres bases, ancrées dans le catch japonais et, d’une certaine façon, du catch britannique.
Cependant, plus encore que l’influence culturelle, c’est un attrait nouveau que suscite ce nouveau catch réaliste. Dans un monde du catch complètement inter-connecté, regardé par des fans eux-mêmes plus proches que jamais les uns des autres, tout se sait si vite et si facilement. Toujours présent, le “kayfabe” n’a néanmoins plus de secret pour personne. Ainsi, peut-être le catch réaliste tente-il de le redéfinir. En opposant aux “storylines” bancales et mal entre-mêlées de réalité et de fiction comme le fait la WWE, un in-ring réaliste, comme outil de scénarios organiques et légitimement réelles (tel le voulait Nigel McGuinness avec son projet LA Fights, ou le fait actuellement l’EVOLVE), ce catch réaliste veut simplement permettre la meilleure adaptation possible au milieu du catch à ses catcheurs. Un retour aux sources, à la simplicité et à l’efficacité in-ring, pour mieux raconter des histoires crédibles et légitimement réelles dans un univers de fiction plus lisible. En outre, ce in-ring réaliste est une continuation du mouvement initié par les Misawa, Kawada et Kobashi de l’AJPW, repris quelques années plus tard par le trio Samoa Joe-Low-Ki-Homicide, fondateurs d’une certaine Ring of Honor. Cette même ROH longtemps dirigée par Gabe Sapolsky, l’actuel conducteur (et co-fondateur avec un certain Bryan Danielson/Daniel Bryan) de l’EVOLVE. En somme, du neuf avec du vieux, pour créer le meilleur catch possible.