Alors qu’en toute logique scénaristique il aurait dû quitter les écrans suite à sa défaite face à The Undertaker à WrestleMania 32, Shane McMahon a cette semaine, et pour la deuxième fois consécutive (sur “demande publique”), dirigé et contrôlé le déroulement fictif de WWE Monday Night RAW. Sur une décision inexplicable de Vince McMahon, il a donc remplacé au pied levé le couple princier de The Authority, Triple H & Stephanie McMahon – jusque là figures d’autorité attitrées des programmes de la WWE (même de NXT) – miraculeusement disparu des écrans après le Main-Event de ‘Mania. Mais alors, pourquoi avoir fait tout un foin de cette querelle de pouvoir, pour en arriver là ? Tout simplement, me direz-vous, pour rajouter un enjeu sur des enjeux au vrai “money match” improvisé du “Show of Shows”. Pourtant, tout de même, cela doit bien vouloir dire qu’avoir une figure d’autorité (totalement fictive comme Shane McMahon aujourd’hui, ou partiellement véritable comme Vince McMahon) doit avoir son importance envers le produit présenté par la WWE. Quelle est-elle ? En a-t-il toujours été ainsi ? Comment se traduit-elle ailleurs ? Une rétrospective devrait pouvoir y répondre.
Quand figure rime avec structure et allure
Tout d’abord, une figure d’autorité (incarnation d’un certain pouvoir en place, à l’écran) doit, dans le cadre de l’univers “kayfabe” établi, faire régner un minimum d’ordre. Autrement dit, c’est ce personnage, cet élément narratif, qui apporte le maximum de structure, cohésion et logique au produit présenté. Utilisée plus particulièrement dans le catch américain et occidental (le catch mexicain et japonais, restant généralement très traditionnels et conservateurs dans leurs approches créatives, n’utilisant que très rarement la présence du légitime promoteur comme levier pour l’organisation de certains matches), la figure d’autorité permet de donner une raison de vivre à la programmation des rencontres, doit gérer les égos des catcheurs et ainsi leurs potentiels échauffourées ou rancœurs. Elle est le biais fictif qu’un promoteur utilise pour annoncer ses décisions de “booking”, qu’elles soient justement pour promouvoir un combat ou pendant un “build-up”, pour lui donner une certaine forme. Enfin, comme le reste des talents (lutteurs ou non, tels les managers, valets, etc) constituant le roster de personnages du produit proposé, la figure d’autorité a sa propre façon de formuler les décisions qu’elle rapporte à l’écran : plus ou moins objective, elle peut être “face” et donc se focaliser sur ce qui est bon pour la promotion, pour les fans et les stars qu’ils soutiennent ; ou, le plus souvent très subjective, elle peut être “heel” et alors consacrer son existence à faire ce qui est le mieux pour elle, son égo supposé, et ses alliés. Aujourd’hui, on retrouve différents types de personnages décisionnaires. Jusque là, ces derniers mois, l’administration fictive de la WWE était menée par de réels exécutants de la compagnie, avec Triple H (Executive Vice-President of Talent Relations et producteur exécutif/”lead booker” de NXT) et Stephanie (Chief Branding Officer et conseillère créative) comme organisateurs “heel” du main-roster, à RAW et Smackdown ! – et Vince McMahon en tant qu’homme de pouvoir suprême, non loin derrière. Aussi du côté des “vilains”, on retrouve actuellement à Lucha Underground, le théâtrale Dario Cueto (ayant repris sa place après s’être vu remplacé à la fin de la saison 1, sans son avis, par Catrina, l’accompagnatrice manipulatrice de Mil Muertes), propriétaire du “temple” où sont organisés les matches filmés pour l’émission. En outre, autant à NXT qu’à la Ring of Honor, on retrouve respectivement le respecté William Regal (plusieurs fois Commisionner ou General Manager auparavant) et le charismatique ex-champion du Monde, Nigel McGuinness, tous deux n’intervenant que lorsque la situation s’y prête ou que le match annoncé est d’importance capitale (“kayfabe” et/ou réelle). Enfin, après une situation assez trouble, c’est une version assagie et effacée de la Présidente de la TNA, Dixie Carter, qui reste l’ultime décisionnaire sur les ondes d’Impact Wrestling. Aussi, n’en a-t-il pas toujours été ainsi, notamment à la WWE où un Monsieur Loyal a toujours été là, d’une façon ou d’une autre, pour donner forme à ses programmes.
A bon usage, bons effets … et inversement
Après différents présidents fictifs, la WWF, alors en pleine Hulkamania, était gérée, à l’écran de 1984 à 1995, par l’ancien promoteur canadien Jack Tunney. Si derrière les caméras, il a bien été l’un des éléments les plus influents dans l’organisation de shows au Canada, comme The Big Event ou WrestleMania VI, devant ces mêmes caméras il restait un simple administrateur en costume, plus ennuyeux qu’un balai brosse. Contrastant avec les musclors extravagants, leurs paillettes et couleurs pétillantes de cette époque, Tunney était le dernier élément traditionnel et conservateur d’un catch “old-school” sur la sortie. N’intervenant que durant les signatures de grands combats (tel Hulk Hogan vs. The Ultimate Warrior ou André Le Géant vs. Hulk Hogan) ou lors de controverses entourant un titre de championnat (à l’instar des prémices de WrestleMania IV ou du Royal Rumble 1992), Tunney – puis son successeur de courte durée, le célèbre commentateur Gorilla Monsoon – était tout l’inverse de la génération suivante de figures d’autorité, émergeant durant les Monday Night Wars. Succédant à une tournante de présidents exécutifs réels (de Jim Herd à Bill Watts, en passant par Ole Anderson) durant les premières années de la WCW sous la propriété du milliardaire Ted Turner, Eric Bischoff avait mis quelques années avant de montrer ses vraies couleurs à l’écran de WCW Monday Nitro, et ce lors de son ralliement à la nWo. Surfant sur la vague, Vince McMahon (propriétaire et président de la WWF/E depuis 1979) décidait enfin de sortir de son rôle d’annonceur et commentateur pour incarner Mr. McMahon, le tyrannique auteur du (bien véridique) Montreal Screwjob. Une transformation qui avait induit un tout autre style narratif à RAW Is War, orientant ses problématiques vers des angles plus politiques – aussi bien dans l’opposition de McMahon avec l’anarchique ‘Stone Cold’ Steve Austin, que dans les manipulations entre les membres de la famille McMahon au sein de la Corporation. Sans oublier, en 1999-2000, Cyrus The Virus, ce manager “heel” devenu commentateur puis représentant autoritaire d’une chaîne qui ne voulait pas de l’ECW sur ses ondes. De cette époque charnière était ensuite née une véritable pléthore de figures d’autorité (plus particulièrement, après le “Brand Split” de 2002, voyant le roster de la WWE se partager entre RAW et Smackdown!) : des efficaces et adéquats Commissionner Mick Foley ou RAW General Manager Eric Bischoff, aux incohérents et excédants Anonymous RAW General Manager ou WCW “Power-That-Be” Vince Russo, en passant par les invisibles et insipides RAW GM Mike Adamle ou Commissionner Sgt Slaughter. Parfois utilisé excessivement, cet outil narratif de soutien, qu’est la figure d’autorité, a ainsi réussi à faire de sérieux dégâts au produit TV qu’il se devait structurer. Dans le cas de WCW Monday Nitro en 2000-2001, le programme avait souffert d’une overdose de Vince Russo, s’insérant sans cesse au premier plan dans les “storylines” qu’il avait lui-même écrit. Plus récemment, c’est l’hégémonie de The Authority sur le temps d’antenne de RAW qui avait en partie commencé à dégoûter les fans de l’émission dès 2013. Une réaction qui s’était transformée en révolte pour soutenir en parallèle la montée en puissance de Daniel Bryan, puis en incompréhension au cours du “build-up” de Roman Reigns vs. Triple H. Incarnant l’homme d’un couple de dictateurs au sein du main-roster d’un côté, Triple H (et d’une moindre mesure, Stephanie McMahon, dans le cadre de l’administration de la division féminine des deux rosters) jouait, de l’autre, celui du réel papa visionnaire de NXT – un produit alternatif, créé sur place et donc pas si éloigné que ça de celui, principal, de la WWE – forcément appréciable du point de vue des fans. Une situation ambigüe qui reste encore à régler aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard … En d’autre termes, une figure d’autorité – aussi en arrière-plan peut-elle être – peut aussi bien provoquer un produit chaotique, incompréhensible et affligeant que créer un produit serein, inspirant ainsi le public à le rester.