Bobby Roode, Kota Ibushi, La Sombra (aka Manny Andrade), TMDK (Mikey Nicholls & Shane Haste), Karl Anderson, Doc Gallows, Shinsuke Nakamura, Austin Aries, Shinsuke Nakamura, AJ Styles : une dizaine de noms de renommée internationale dans le monde du catch, signés par la WWE durant les trois premiers mois de 2016. Forte d’une popularité facilité par un “boom discret” du catch mondial, malgré de mauvaises performances créatives et télévisuelles, la WWE est actuellement doté d’un budget gargantuesque, et avec ça d’un appétit pantagruélique. Rien que ce week-end, elle a battu plusieurs records avec WrestleMania 32, notamment avec plus de 94.000 (chiffre réel confirmé par l’AT&T Stadium, contre 101.763 évoqué par la WWE) fans à Dallas pour l’événement de dimanche dernier, et les 17 millions de dollars de recettes générées par cette affluence. Mis à part des projets comme celui-ci ou encore le financement de son ambitieux WWE Network (qui lui a coûté la majorité de son profit but annuel de 2015, soit 658 millions, pour un profit net final d’environ 25 millions), la compagnie de Vince McMahon s’est aussi lancée depuis quelques années dans une impressionnant vague de signatures de nouveaux talents, jeunes ou moins jeunes, inconnus ou bien connus. Tout cela pour réunir un maximum de fans de catch (plus que de téléspectateurs lambdas, finalement) au sein de sa clientèle, mais aussi pour alimenter son centre développemental semi-autonome, très prisée de ces mêmes fans (environ 200.000 abonnés du Network estimés regardent chaque semaine le programme), qu’est NXT. Cependant, comme noté précédemment au sujet de la Ring of Honor, un tel afflux – en direction du surplus – de talents confirmés du circuit indépendant international ne va-t-il pas être contre-productif si il continue ainsi ? Qu’arrivera-t-il aux vrais lutteurs en développement comme on en a pu voir dans WWE Breaking Ground, lorsque les ex-“TNA Originals” (aussi talentueux soient-ils) auront pris tout le temps d’antenne et d’attention qui devraient normalement leur être consacré ? Ces jeunes Superstars en devenir seront-elles assez mûres pour ensuite prendre la relève, une fois que cette génération de stars non-“made in WWE” sera appelée à rejoindre le “main-roster” ou tout simplement aura fait son temps ? Des questions, auxquelles l’Histoire pourrait peut-être répondre. Rétrospective. roddy-piper-hulk-hogan

Signature de talents en masse, garant d’une expansion réussie ?

Pour assister à la première vague massive de signatures du genre, il faut remonter au milieu des années 1980s, avec l’expansion nationale agressive lancée par le nouveau propriétaire de la WWF/E, Vince McMahon Jr. Fort d’une ambition folle, et d’une détermination de réussir après tant de tentatives ratées dans l’immobilier notamment, le toujours patron de la WWE et sa femme avait racheté la World Wide Wrestling Federation de son père en 1979, fondant Titans Sports Inc. (la compagnie opérationnelle, derrière la WWF/E, jusqu’à son entrée en bourse en 1998-1999) au passage. Indépendante de la National Wrestling Alliance (contrôlant d’une main de fer le Monde du catch et ses “territoires” fédérés sous une seule instance dirigeante) depuis 1963, elle était néanmoins restée fidèle aux traditions et allégeances établies au fil des années avec les autres promoteurs, tout comme l’American Wrestling Association de Verne Gagne le faisait depuis 1960 sur la partie ouest du territoire américain. Vince Junior, assez nouveau dans le métier, n’avait lui pas adhéré aux mêmes valeurs que son père et ses contemporains, et comptait bien prendre les rennes d’un milieu rigide et stagnant. Écrasant les fédérations voisines les unes après les autres, il envisageait de faire de sa WWF/E le produit national #1 de catch américain, en accaparant un maximum de notoriété (jouant de ses relations à New-York, pour faire venir des célébrités), d’audience (rachetant les petits “territoires” et leur émission TV locale, pour la remplacer par la sienne) et surtout de talents, à commencer par la nouvelle vedette du moment, Hulk Hogan. “Heel” puissant mais peu charismatique jusque là, Hogan s’était finalement trouvé à travers son rôle de Thunder Lips dans Rocky III en 1982. Vite populaire, Hogan – désormais “babyface” – avait ainsi donné naissance à la fameuse Hulkamania, première fois ressentie sur le ring du très old-school Verne Gagne en 1983. Totalement contre ce super-héros cartoonesque qu’Hogan incarnait, il s’obstinait à l’écarter du titre Mondial de l’AWA, le poussant vers la sortie. Une opportunité juteuse pour l’affamé Vince McMahon, qui avait ce dernier avait trouvé le visage qu’il lui fallait pour mettre sur pied sa vision du “sports-entertainment”. Dès 1984 et le couronnement du ‘Hulkster’ au Madison Square Garden, il s’en était donc suivi une convergence des meilleurs talents du circuit américain : ‘Rowdy’ Roddy Piper et Ricky ‘The Dragon’ Steamboat de Jim Crockett Promotions (le concurrent grandissant de Vince McMahon, et promotion meneuse de la NWA) ; Jake ‘The Snake’ Roberts, ‘Million Dollar Man’ Ted DiBiase et le Junkyard Dog de Mid-South Wrestling ; Rick Martel, ‘Mr. Perfect’ Curt Hennig et les Rockers de l’AWA ; et bien d’autres, venus d’autres confins de la NWA, comme ‘Macho Man’ Randy Savage, ‘Ravishing’ Rick Rude ou les jeunes stars de Stampede Wrestling (Bret Hart, The Dynamite Kid et Davey-Boy Smith, échangés selon un accord avec le patriarche Stu Hart, patron du territoire canadien Stampede Wrestling). Avec de tels talents, la WWF/E s’était embarqué dans un âge d’or de près de 10 ans, révolutionnant à jamais le paysage du catch américain. Mais l’Histoire aime à se répéter, et souvent avec beaucoup d’ironie.

Une vague productrice de changements

malenko vs mysterio En 1994, un autre jeune ambitieux du nom d’Eric Bischoff était installé à la tête de World Championship Wrestling, la compagnie du patron de CNN et empereur du câble, Ted Turner (racheteur des Jim Crockett Promotions chancelantes). Désireux rattraper les bourdes de ses prédécesseurs, et de faire profit sur le dos d’une WWF gangrenée par une affaire de ventes de stéroïdes, il avait lui aussi débuté une longue vague de signatures … à commencer par celle d’un certain Hulk Hogan. Avec lui, s’était rapidement ajouté des stars plus ou moins établies comme ‘Macho Man’ Randy Savage, Lex Luger, Kevin Nash et Scott Hall mais aussi de jeunes catcheurs internationaux inconnus du grand public tels Eddie Guerrero, Chris Benoit, Rey Mysterio, Dean Malenko, Ultimo Dragon ou Chris Jericho. Avec cette armée de talents en tout genre avait été déclenché les fameuses Monday Night Wars, qui avait vu la WCW dominée la WWF pendant deux longues années, avant son rachat en 2001 (et celui de l’ECW de Paul Heyman, dont la WWF/E avait prélevé ses deux principales attractions – Taz et les Dudley Boyz), laissant seule au sommet du catch américain une WWF hégémonique, récupérant peu à peu tous ces talents. Cette autre vague massive avait ainsi, elle aussi, changé à jamais la structure et les paramètres du Monde du catch. Certes, sans l’impact de ces deux-là, à noter que d’autres signatures en masse de talents se sont déroulées durant l’Histoire – des épisodes d’exodes qui ont redéfini l’avenir de plusieurs promotions : des stars, et surtout de nombreux jeunes espoirs, de la CMLL au Mexique s’étaient dirigés vers l’AAA de Antonio Peña (ancien “lead booker” de la CMLL) en 1992 ; au Japon, 2/3 du roster de la renommée AJPW s’était joint à la fondation de la Pro-Wrestling NOAH de Mitsuharu Misawa en 2000 suite à la mort du fondateur Giant Baba ; sans compter les nombreuses tribulations des Joint Promotions (équivalentes à la NWA en Grande-Bretagne) au cours des années 1960s-1970s. Mais alors, comment anticiper les effets d’une nouvelle version de ce phénomène ? Que dire de l’effet de contre-productivité cité plus haut, par exemple ? Dans les années 1990s, seule une poignée de top-stars “made in WCW” avaient été créées – Sting (déjà bien établi), Goldberg, Booker T en sont les plus aisément reconnaissables représentants – d’autres tels Guerrero, Benoit ou Mysterio complètement laissés sur le bas côté. Quid du succès des nouvelles générations une fois les vagues passées ? En 1992-1993, terme de l’Hulkamania Era, les successeurs (Bret Hart, Shawn Michaels & Cie) aux colossaux Ultimate Warrior et autres André The Giant avaient tenus à un fil une WWF/E sur le point de couler. Et en 2003-2004, dans l’après-coup de l’Attitude Era, la WWE avait eu bien du mal à installer un roster structuré, aux meneurs adéquats et préparés. Tant d’exemples historiques qui peuvent aider à comprendre ce qui pourrait bien se passer une fois le buzz de NXT apaisé, à moins que la WWE sache encore créer ses propres stars sur le long-terme en amont. Encore quelque chose qui reste à prouver …