On se doit de savoir d’où l’on vient, pour mieux savoir où l’on va, dit le dicton. Sous la direction créative d’Hunter ‘Delirious’ Johnson depuis 2013, la Ring of Honor a réussi à se sortir du gouffre créatif et administratif de Jim Cornette. Lequel, ancien de la WWF/E et de la TNA (sans oublier sa propre “rasslin'” promotion dans les années 1990s, Smoky Mountain Wrestling), a succédé à Adam Pearce et l’HDNet Era, post-Gabe Sapolsky. Une période qui n’a pas toujours été facile financièrement (notamment à cause d’une première présence TV coûteuse et en réalité complètement inutile) et idéologiquement, mais qui avait l’avantage de réunir tant d’excellents talents (de Bryan Danielson à KENTA, en passant par les Kings of Wrestling et Austin Aries). Cependant, avec cette nouvelle croissance actuelle signée Delirious, la ROH commence à perdre son identité ancestrale (oubliant donc ses origines si importantes) pour s’en approprier une autre, très dissonante, très dispersée et, a fortiori, pas idéale sur sa santé à long-terme. Décryptage.

Vendre son âme pour mieux changer l’amènera dans le mur

Citons l’exemple de Dalton Castle, un talent excellent sur le ring, riche d’un fort charisme et d’une incarnation maîtrisée de son personnage de ‘Party Peacock’. Issu de la Chikara comme on peut s’en douter, il représente bien, en extrapolant, ce qu’est devenu la ROH sous la gestion de Hunter Johnson. Un changement d’allure prononcée, malgré une identité revendiquée restant la même, juste pour ne pas perdre les fans “die hards” … mais qui les perdra tout de même un jour ou l’autre.

“Nous présentons le meilleur catch de la planète, comme un sport et non un divertissement” – une auto-contradiction qui pourrait peut-être commencé à poser des problèmes sur le long-terme, justement au niveau de sa “fan-base” grandissante mais toujours majoritairement peuplée de ces “die hards”. En présentant un produit de plus en plus télévisuel et scénarisé (avec des personnages aux gimmicks de plus en plus exprimées, et des “storylines” de moins en moins organiques et sportives) pour mieux s’étendre sur le marché TV américain et international, la Ring of Honor se retrouvera possiblement dans une impasse, sur son chemin de croissance. Un peu comme son allié désormais indispensable, la New-Japan Pro-Wrestling, à la fin des années 1990s : se voyant dépassée par la supra-sportive All-Japan Pro-Wrestling et son “storytelling”, très organique, nommé “King’s Road” – comme pourrait l’incarner ici, d’une moindre mesure, l’EVOLVE, la descendante de cette idéologie “pure wrestling” renforcée aujourd’hui par l’apogée du MMA.

Certes, la ROH atteint maintenant des domaines et des succès auxquels elle n’aurait jamais rêvé en 2004-2005 – comme la réussite très modeste de ses Live PPVs désormais réguliers, une meilleure présence TV et une administration mieux gérée (par le COO Joe Koff et Sinclair Broadcasting Group, des propriétaires utiles et tolérants, semblent-ils) – mais le contre-coup de son alliance capitale avec la NJPW, gardant ses “hardcore fans” en place, montrait-il enfin le bout de son nez ?

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NJPW, l’allié d’une symbiose mutuelle ou d’un opportunisme unidirectionnel ?

Outre ses autres partenariats (celui, annuel en Angleterre, avec la Preston-City Wrestling ou celui, simplement coopératif avec la Pro-Wrestling Guerrilla), la Ring of Honor a surtout profité ses dernières années d’une alliance avec l’imposante compagnie impératrice du Japon, la NJPW. Capitalisant en 2012, sur un héritage riche d’anciennes correspondances nippones (l’AJPW en 2003, la Dragon Gate en 2006 puis la Pro-Wrestling NOAH de 2005 à 2009), la ROH avait à cœur de profiter de la montée de popularité de la New-Japan en Occident, s’octroyant ses stars (et d’autres, leur promettant un double-contrat juteux), en échange d’une première visibilité concrète aux États-Unis (surtout après une tournée Invasion Attack un peu invisible en 2011). Le projet a depuis porté ses fruits : avec une vraie crédibilité donnée à la ROH qui a pu renforcer sa présence sur le territoire national (au contraire d’un #2 mondial, la TNA, chancelant), et une expansion internationale en bonne voie pour la NJPW, notamment avec son contrat TV américain sur AXS TV (l’ex-HDNet, ancien diffuseur de la ROH, belle ironie).

Cependant, à l’heure actuelle, cette alliance se révèle à double-tranchant. Si elle lui permet de rester crédible et d’avoir d’excellents talents internationaux à disposition, ce partenariat remet ses propres talents et leurs développements sur le bas côté. C’est pourquoi un talent comme ACH n’arrive pas à progresser comme il le devrait. On le voit très explicitement cette année, avec des présences inter-promotionnelles aussi fortes aussi bien chez l’une que chez l’autre – à cela près que la Ring of Honor n’est pas la New-Japan. Elle n’est pas son égale en terme de structure, de pouvoir financier, et de “star-power” (surtout maintenant que les Okada, Nakamura et Tanahashi sont largement reconnus par les fans mondiaux). Et pourtant, en 2016, elle lui a déjà consacré tant de temps et d’espace. A Wrestle Kingdom 10, une dizaine de ses catcheurs principaux étaient au Tokyo Dome Show, déployés en “mid-card”, pour leur plus grand plaisir et honneur. Puis, pour son 14ème anniversaire en Live Pay-Per-View, elle a accueilli une dizaine de lutteurs NJPW en échange … seulement une semaine après un autre show inter-promotionnel, NJPW/ROH Honor Rising, au Korakuen Hall. Sans compter, Global Wars 2016 et une tournée inter-promotionnelle entière sous la marque War of The Worlds 2016 en mai prochain !

L’alliance a déjà donné les résultats attendus, alors pourquoi accentuer le trait, possiblement au détriment long-terme du roster de la Ring of Honor, de sa réputation et de son influence sur le circuit indépendant et international ? Que lui restera-t-elle quand la NJPW aura atteint son objectif final et n’aura plus besoin d’elle ? Ou encore quand les Adam Cole, Kyle O’Reilly, Jay Lethal, Roderick Strong et autres ACH auront été signés par WWE NXT, après avoir été créés presque sur mesure ?

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“ROH : Creating Excellence” … pour les autres

Car voilà bien le fin mot de l’histoire : la Ring of Honor ressemble de plus en plus à un NXT bis, sans doute en réaction à l’immense concurrence qu’il lui fait, et en adéquation avec son nouveau mantra “Creating Excellence”. Un aveu inconscient qu’elle n’est plus l’alternative suprême du catch américain (qu’elle se réclamait être si haut et fort avec son ancien leit-motiv : “nous n’imitons pas, nous innovons”), mais la fabrique des prochaines top-stars de la WWE. Il est vrai que le fait de le mettre en avant lui a permis d’attendre de nouveaux publics, mais tout cela reste très ambigüe. Malgré tout, elle continue de faussement revendiquer son ancienne identité de “pure wrestling” et alternative suprême en usant de son slogan marketing “The Best Wrestling on the Planet”, déjà évoqué plus haut.

En 2016, la véritable excellence in-ring se trouve à la NJPW, à NXT, à la PWG ou à l’EVOLVE (qui, de plus, est le fournisseur officieux de jeunes talents de NXT). En 2016, la ROH ne s’en est remise qu’à produire des soubresauts d’excellence – un phénomène qu’elle aurait condamné avec ferveur il y a 10 ans. En 2016, la ROH joue en plus le jeu de NXT. Ce même jeu dangereux qui consiste à ne s’appuyer que sur des stars établies et importées (en l’occurrence de la NJPW) au lieu de faire monter ses jeunes stars les plus talentueuses. Ces dernières ne seront ainsi jamais préparés à de nouveaux exodus massifs vers NXT (de la même façons, de son côté, avec une nouvelle vague de “call-ups” approchante). Probablement moins encore que ne l’étaient Kenny Omega ou Kazuchika Okada, quand Shinsuke Nakamura et AJ Styles les ont quittés abruptement en janvier-février.

Alors, qu’adviendra-t-il de ses PPV Buys, de ses tournées et du reste de son succès quand Dalton Castle ou War Machine trôneront seuls, sans Cole, O’Reilly ou ACH, au sommet de la ROH ? Que restera-t-il de la Ring of Honor toute entière ? Sera-t-elle remémorée comme la compagnie qui a volontairement été l’esclave d’autres, qui a vendue son âme et son identité, pour un changement raté ?